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QUAND LES CLIPS FONT LEUR CINÉMA

Des Scopitones aux expériences interactives, le clip a eu et a toujours une place prépondérante dans notre culture télévisuelle et même cinématographique, mais quelle est son histoire ? Pierre Larose, réalisateur de clip,  invite à plonger dans cette histoire fascinante mais aussi à découvrir comment les réalisateurs de cinéma ont réussi à s’emparer de ce format…

1- PETIT HISTORIQUE DU CLIP

Le scopitone et la pop culture

C’est vers la fin des années 50 et le début des années 60 que le Scopitone voit le jour. Héritier des fameux Jukebox, le Scopitone proposait à qui payait une petite somme (importante pour l’époque) de visionner seul dans un petit écran un « clip » des artistes vedettes de l’époque. 

Le Scopitone, invention française de la société Caméca, était le plus souvent proposé dans les bars. Alors qu’auparavant vous pouviez choisir une musique dans le catalogue d’un juke boxe, le Scopitone proposait le même procédé mais avec de courts films de 16mm d’une durée de 3 minutes environ. Le Scopitone était donc un outil de diffusion de la culture pop de l’époque prenant place dans des lieux de sociabilisation, mais à usage personnel : vous regardiez seul au travers de l’écran le clip que vous sélectionniez pour le prix de 5 francs. N’oublions pas qu’à l’époque le seul moyen de « voir » son artiste préféré, était de se rendre à un concert. Le Scopitone engendre donc une véritable révolution à l’heure où YouTube n’existe pas. Il créé alors la proximité entre artistes et spectateurs. De plus le Scopitone proposait des films en couleur, là où la télévision (encore peu répandue) était encore en noir et blanc et souvent régie par le patriarche de la famille. 

Les artistes qui ont usé et popularisé l’usage du Scopitone sont nombreux. En France nous retiendrons : Johnny Hallyday, Françoise Hardy, Henri Salvador.

Quelques chiffres :
Environ 1300 films tournés entre 1960 et 1970.
En 1963 c’est plus de mille appareils qui ont été produits dont la moitié pour la France. 

La forme des Scopitones est plutôt standardisée : 

  • Le/la chanteur/se chante en playback.
  • On y découvre plusieurs lieux, ou un simple décor unique en studio. 
  • Le/la chanteur/se est souvent accompagné/e de danseuses « sexy », ce sont les années yéyé. 
  • Les couleurs sont souvent saturées. 


Le Scopitone connut une heure de gloire très courte, et déjà vers la fin des années 60, il se raréfie notamment à cause des droits SACEM qui explosent les prix de diffusion… Mais une chose est sûre, une machine incroyable est lancée, la mise en image de la musique : le clip est né ! 


REFERENCES

Henri Salvador – Juanita Banana

François Hardy – Tous les garçons…

MTV

C’est aux Etats-Unis le 1er Août 1981 à 12h03 que nait MTV (acronyme de Music Télévision) en diffusant le clip : The Buggles – Video Killed the radio Star. Un titre sans équivoque… Une promesse : mélanger le meilleur de la télévision et le meilleur de la radio. 

The Buggles – Video killed the radio star

Le principe de cette chaine était simple : abreuver un public (entre 12 et 35 ans) 24h/24 et 7j/7 de clips des chanteurs en vogue : Rod Stewart, Phil Collins, Iron Maiden, Madonna, Kate Bush, A-Ha, Eurythmics, Duran Duran, Spandau Ballet, Michael Jackson, Ultravox, Visage, Bronski Beat, David Bowie, Wham!, Depeche Mode… 

L’arrivée de MTV a contraint les maisons de disques à se plier à cette nouvelle économie et donc à produire des clips car MTV le prouvait : il était maintenant possible de devenir une superstar sans même fouler une scène. C’est donc l’âge d’or du clip, et on dépense sans compter. Les clips les plus chers sont ceux de Michael Jackson par exemple, avec Thriller (1983) réalisé par John Landis pour un budget de près d’un million de dollars en ayant recours à des équipes et des studios de cinéma. 

MTV a donc imposé les règles de la musique pendant une vingtaine d’années avant l’arrivée d’Internet. Le milieu musical était même régi par des récompenses mondialement connues octroyées lors de rendez-vous importants pour cette économie comme les MTV awards, MTV european awards… 

Ce nouveau format devenant alors très populaire et rentable, il fallait alors le rendre précieux et singulier. Les maisons de disque ne craignent pas de donner les manettes à de jeunes réalisateurs de cinéma. C’est à ce moment-là que nous verrons émerger des noms bien connus tels que : Michel Gondry, David Finsher, Gus Van Sant, Tim Burton, etc.

 

2- QUAND LES RÉALISATEURS S’EN MÊLENT !

MICHEL GONDRY

Michel Gondry est français. Il est né en 1963. Il est issu d’une famille de musiciens et de techniciens de la musique. Touche à tout, c’est un artiste pluridisciplinaire : musicien, vidéaste, plasticien, dessinateur… 

Son univers : 
Le rêve et le surréalisme sont au cœur de son œuvre. Il aime les effets spéciaux et ne craint pas le manque de réalisme, c’est comme ça que Gondry exprime sa poésie. Son univers est souvent traversé par les images de l’enfance et une certaine nostalgie. 

Clips et films pour bien comprendre son univers :

 
 
JOHN LANDIS

John Landis est né en 1950 à Chicago. Passionné par le cinéma, il grandit en Californie et se fait embaucher très jeune comme coursier auprès de la 20th Century Fox. Son premier grand succès fut le film The Blues Brothers, comédie musicale, préfigurant déjà son attrait pour la mise en images de la musique. 

Son univers : 
C’est un « touche à tout » visuel : la comédie musicale, le western… mais surtout la comédie. Même quand il veut faire peur, il fait quand même un peu rire. C’est le réalisateur hollywoodien par excellence. Il fait appel aux grandes stars de l’époque. 

Clips et films pour bien comprendre son univers : 

 
 
SPIKE JONZE 

Spike Jonze est né en 1969 à Rockville. Passionné de culture urbaine et de skate, il commence sa carrière comme photographe pour le magazine BMX freestylin.

Son univers : 
Spike Jonze est un ovni au style très décalé. Toute son œuvre est liée à la question de la performance. Il aime créer des happenings comme pour le clip de Praise You / Fatboy Slim où il invite une fausse compagnie de danse dans un centre commercial, ou encore transformer son (ex) épouse et réalisatrice, Sofia Coppola, en gymnaste professionnelle pour un clip des Chemical Brothers. La danse, ou plus exactement le corps, a une place importante dans son œuvre. Il aime aussi beaucoup la technologie et jouer avec cette dernière. Son travail de réalisateur est visible à la fois, au cinéma, à la publicité, à la télévision et dans le clip. 

Clips et films pour bien comprendre son univers : 

 
Autres réalisateurs de cinéma qui ont travaillé le clip
 

3- QUAND LA MUSIQUE FAIT SON CINEMA 

Certes l’industrie du clip a beaucoup fait appel aux réalisateurs pour réaliser des clips mais il est intéressant aussi de questionner la musique dans les films et de voir à quel point la forme « clip » a réussi à trouver une véritable place dans les narrations cinématographiques. Beaucoup de réalisateurs font la part belle à la musique en tant que séquence à part entière. 

Pour aborder cette partie, intéressons-nous à une séquence précise dans le film Laurence Anyways de Xavier Dolan.

Synopsis : Dans les années 1990, Laurence annonce à Fred, sa petite amie, qu’elle est en réalité une femme transgenre. Elles affrontent alors les préjugés de leur entourage, résistent à l’influence de leurs familles et bravent les phobies de la société qu’elles dérangent.

Situation de la séquence dans le film : Après avoir appris le vœu de transition de son conjoint Laurence, Fred, compagne de Laurence, se rend à une soirée. 

Musique : Visage – Fade to grey
 
En quoi pouvons-nous parler de clip au cinéma ?

Le film développe un sujet très social dans un genre plutôt réaliste. Cette séquence musicale s’intègre dans la narration comme une pastille hors du temps narratif, hors de l’esthétique générale du film, hors des codes académiques du cinéma. 

À ce moment précis du film, il n’y a plus de son IN, mais uniquement la chanson. Nous perdons donc notre rapport au réel sonore du film : il n’y a plus de dialogue, plus de bruit… seule la musique comme guide. 

Le montage quant à lui est différent du reste du film, il y a beaucoup de plans en très peu de temps, un montage très « cut », des faux raccords, des ellipses, un montage alterné et en même temps un montage parallèle, il y a des effets de transition propres à l’univers du clip des années 80 : des surimpressions, des fondus enchainés, des effets de lumières vintage… 

Fred qui, certes, est un personnage principal du film, n’en est pas l’héroïne ; elle est ici érigée au rang de rockstar et est filmée comme telle : elle n’arrive pas en marchant, elle survole littéralement le sol. Son look n’est pas du tout « normal » ni habituel, elle incarne autre chose, une version libérée d’elle-même, comme si un vent de liberté, d’empowerement soudain, dirigeait son personnage. D’ailleurs les personnages autour d’elle sont traités comme elle : maquillages, vêtements, coiffures, attitudes, tout est en décalage. Ici, dans cette séquence, tout est « extraordinaire », loin du marasme émotionnel et social dans lequel se trouve le couple. On se retrouve plongé dans un clip pop/rock des années 80/90, avec tout l’aspect dramatique que cela peut comporter malgré le fard et les paillettes. 

Nous pouvons donc dire que cette séquence « clippée » permet au personnage, mais aussi aux spectateurs de s’évader le temps de 3 minutes, de rêver, de danser. Ces 3 adjectifs définissent, de fait, l’utilité d’un clip mais sont ici au service d’une narration cinématographique. 

Si vous voulez découvrir d’autres références de séquences de cinéma qui ressemblent à un clip voici une petite liste : 

 

 

4- DES EXPERIENCES ORIGINALES DE CLIPS 

La consommation de la musique a évolué depuis les années 80, il en va de même pour les clips vidéo. En 2000, le monde de la musique connait la « crise du disque ». L’arrivée d’Internet a développé le piratage mais aussi le streaming. Il a donc fallu réinviter un système. Comme l’économie du clip est fortement liée à celle de la vente de disque (si on ne génère pas de profit avec la vente de musique, il est difficile derrière de produire du contenu vidéo) c’est tout un système qui a dû se réécrire. Bien qu’un grand nombre de clips se soit vu standardisé, c’est aussi une période où la créativité et l’ingéniosité ont eu la part belle. 

Audace et simplicité : 

Cette période charnière de l’industrie vidéo musicale propose donc à la fois des productions conceptuelles simples et épurées mais aussi, pour exister, certains artistes et certains labels rivalisent de projets aux ambitions créatives incroyables tant par la forme que par la durée par exemple

Demon – You’re my high (2000)

Un plan séquence de 2min30 durant lequel un homme et une femme s’embrassent langoureusement en gros plan. L’idée est simple, originale et on ne peut plus impactante.

Princesse Chelsea – The cigarette duet (2011)

Un autre (quasi) plan séquence dans une piscine. Le duo chante immobile dans une piscine. Il ne se passe presque rien, c’est hypnotique et envoutant.

Le clip le plus long du monde : 

En 2013, le duo de créatifs français « We are from L.A » signe le clip le plus long du monde pour Pharrell Williams et son tube Happy avec un clip de … 24h. C’est une succession de 360 plans séquences tournés avec 336 personnes. C’est, en gros, une gigantesque balade sans fin.

le clip / concert live / YouTube

Spike Jonze

En 2014, pour célébrer la musique et ses artistes, YouTube organise une émission TV en direct de son site Internet. Quoi de mieux que Spike Jonze aux manettes de ce bel exercice ? C’est ainsi qu’il a monté en direct tout une série de « clips » qui étaient en réalité des performances live. Vous aurez l’impression de regarder un clip, alors qu’il s’agit d’un concert.

iamamiwhoami

En 2010, le groupe suédois avec à sa tête la chanteuse et productrice Jonna Lee, a décidé d’inviter ses fans à une date et un horaire précis pour un évènement particulier. Ils ont alors ainsi créé un live mais… aucune scène ! Plusieurs décors, plusieurs caméras, des figurants, en direct live sur YouTube.

Le clip interactif de Ty Segall

En 2015, lorsque Ty Segall sort son clip, nous pouvions à ce moment-là interagir en direct sur le clip afin de créer des artefacts visuels et numériques sur la vidéo. Une véritable expérience psychédélique où vous n’êtes plus simplement spectateur mais créateur.

5- Lindustrie du clip aujourdhui

Support toujours inévitable de la musique jusqu’à aujourd’hui, le clip continue encore et toujours de faire rêver. En revanche, l’économie décrite plus tôt n’est plus la même et l’âge d’or de MTV est maintenant bien loin. L’arrivée d’Internet et des smartphones (tiktok, instagram, twitch, snapchat…) a changé la donne. Bien que les artistes continuent de produire des clips, les habitudes de consommation ont changé.

Le besoin de proximité 

Aujourd’hui, à tout moment, les fans peuvent avoir un accès direct à leurs artistes préférés en allant visiter leurs profils sur les réseaux sociaux via leur smartphone. Beaucoup de fans ne souhaitent plus attendre une date lointaine de concert pour rencontrer leurs artistes, ils souhaitent accéder à eux instantanément et de façon intime et privilégiée. C’est pour cela que le livestream a aujourd’hui une place centrale. L’artiste donne un accès immédiat et en direct à son intimité, à un concert donné dans son salon, à une version acoustique inédite un soir de semaine. Une façon de toucher une communauté immense rapidement et à moindre frais. Voici deux exemples :

Kanye West a utilisé une toute petite application appelée WAV pour diffuser la soirée de lancement de son album Ye. 

Ariana Grande a utilisé la fonction « PREMIERE » sur YouTube pour le lancement de son clip Thank u, next, générant un public de près d’un million de spectateurs.

A l’avenir les contenus vidéos seront beaucoup plus courts et aussi beaucoup plus longs

Avec la multiplication des applications comme snapchat, tiktok, l’heure est à la valorisation des formats très courts. Cette mode touchera aussi probablement la création de vidéos musicales aux formats courts pour séduire les usagers de ces différentes applications. 

Mais dans le même temps, au contraire, beaucoup d’artistes privilégieront la créativité et les nouvelles technologies en proposant des clips immersifs, très cinématographiques aux formes encore inconnues et à inventer. Gardons un oeil sur le métaverse…

Quelques réalisations de Pierre Larose