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LES ALCHIMISTES, PORTRAIT D’UN DISTRIBUTEUR EN RÉGION

Rencontre avec Timothée Donay, co-fondateur des Alchimistes, société de production et distribution à Lille. Inventer et trouver la bonne formule pour chaque film, pour que l’étincelle jaillisse, telle est la définition même de leur alchimie. Véritable OVNI dans le paysage régional, il nous raconte son parcours et ses motivations à être distributeur en région plutôt qu’à Paris…

Quelles expériences ont été fondatrices dans ton parcours ? 

Lorsque j’étais en troisième, j’ai assisté à un cours d’analyse filmique au Lycée Noordover à Dunkerque. J’ai été estomaqué de tout ce que l’on pouvait dire en 2 heures sur une séquence de 5 minutes !

Après le bac, j’ai fait le master cinéma à Lille 3. Pour mon stage de fin d’études je suis allé travailler pour le festival du film de Sarlat*, dans lequel j’allais lorsque j’étais lycéen. Du coup c’était vraiment cool d’être de l’autre côté, celui de la programmation… J‘ai gardé de forts liens avec ce festival et je continue d’y aller dès que je peux ! C’est vraiment l’idée de comment le cinéma et les images peuvent t’aider à comprendre le monde qui m’a marqué, et notamment le fait de s’adresser à un public jeune, ça me touche particulièrement, en tout cas c’est comme ça que j’ai découvert le cinéma.

Ensuite j’ai été en service civique à CinéLigue Hauts-de-France où je m’occupais du dispositif jeune public « Les P’tites Toiles d’Émile ». C’est vraiment là que j’ai pris conscience que le cinéma itinérant permettait de toucher un public qui n’a pas ou peu accès aux salles de cinéma et à la culture en général. Le cinéma devient une vraie ouverture, c’est merveilleux !

Après avoir fait plein d’autres choses qui n’ont rien à voir avec le cinéma, je me suis mis à la distribution un peu par hasard, pour un documentaire qui s’appelle En quête de sens, qui avait été réalisé par un « ami d’amie » qui m’a sollicité pour les aider, sachant que j’avais fait un master de ciné… Finalement le film a bien marché et l’expérience m’a bien plu. A la suite de cela, j’ai continué à travailler dans la diffusion.

Comment sont nés les Alchimistes ? 

Après une rencontre au Québec avec une distributrice qui m’a donné l’amour du nouveau cinéma québécois, nous avons fondé Ligne 7 en 2016 afin de défendre ces films de fiction avec la volonté de faire de la distribution en région. Au départ à Paris, nous nous sommes très vite installés à Lille. Il y a 2 ans, nous avons fusionné avec Docks 66, à l’époque spécialisé dans le documentaire et qui était en partie basé à Marseille. Il y avait donc une part d’ADN commun à vouloir travailler ailleurs qu’à Paris ! C’est comme ça que sont nés Les Alchimistes. En plus du documentaire et de la fiction québécoise, nous avons la volonté d’explorer d’autres territoires.

Les Alchimistes est un nom qui évoque à la fois la science et la magie mais aussi une idée de métamorphose… Pourquoi avoir choisi ce nom ?

On aimait bien l’idée de laboratoire, il n’y a pas de recette de diffusion tout faite qui s’appliquerait à tous les films, l’alchimie étant de trouver la formule qui convient à chacun. 

En fait « ajuster la potion pour chacun des films » ?

C’est ça ! Pour l’instant nous n’avons rien transformé en or (rire) mais il y a des chouettes choses qui se passent !

Il faut savoir prendre ce temps de recul et d’analyse. Là, typiquement avec la crise, d’un mois à l’autre, le paysage est complètement différent, d’un film à l’autre également. Ce qui pourrait être souhaitable pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre… 

 Il y a aussi dans notre profession comme dans beaucoup d’autres, une espèce de nostalgie avec le fameux « c’était mieux avant ». Nous, on pense au contraire, qu’il faut imaginer une nouvelle formule, « le passé c’est le passé ! »

Ça veut dire quoi être distributeur chez Les Alchimistes ?

On ne souhaite pas être à plus de 4 à 7 films grand maximum par an ; on est une petite équipe plutôt jeune et on souhaite pouvoir continuer à faire du cas par cas.

Être distributeur pour nous, c’est trouver le meilleur « quoi, quand et comment » pour un film. C’est un engagement sur un volume de films qui se nourrissent les uns les autres pour arriver à un équilibre financier… Cela ne répond pas forcément aux impératifs du marché, mais on essaie tout de même de garder un certain nombre de salle en sorties nationales. C’est réfléchir également avec les lieux de diffusion à comment toucher leur public, notamment sur des films indépendants comme ceux que nous proposons, pour lesquels il faut aller chercher les spectateurs presque un par un ! C’est une réflexion vraiment territoriale pour chaque film. Par exemple, pour un film comme Jeune Juliette qui intègre le catalogue Collège au cinéma c’est une continuité intéressante, une vraie seconde vie, au-delà du « mercredi de sortie » et en plus destiné à un public jeune, qui est LE public auquel il doit s’adresser à mon sens. 

Vous avez fait le choix de ne pas être à Paris, avez-vous des partenaires spécifiques en région ?

On avait développé avec De la suite dans les images des journées de prévisionnement Ligne 7 pendant lesquelles on présentait les films de nos line-ups. Sur chaque film on proposait des ateliers pour trouver l’affiche, la bande annonce, la date de sortie, le type de public, l’accompagnement etc… Ça c’est quelque chose que nous aimerions beaucoup refaire… éventuellement avec l’Acap !

On travaille également avec le lycée Faidherbe à Lille qui a une classe prépa cinéma ainsi qu’une option cinéma et on réfléchit à développer un partenariat avec l’Université de Lille et/ou Amiens. 

Mais si on continue à s’adresser uniquement à des jeunes qui s’intéressent déjà au cinéma, je ne sais pas si on aura toutes les réponses concernant le public 15-25 ans.

L’idée ce serait de pouvoir toucher aussi les autres avec notre principe de laboratoire régional… Je ne sais pas si c’est le rôle d’un distributeur mais on peut bousculer les frontières ! Par exemple avant de faire l’acquisition d’un film, pouvoir le présenter à des jeunes ou lycéens et avoir leurs retours ce serait super !

Dans une interview datant de 2020, vous disiez vouloir développer des temps de formation, ou des actions de sensibilisation à destination des professionnels du cinéma. Avez-vous eu l’occasion de développer cet aspect ou est-ce encore en projet ? 

En effet, il y a une méconnaissance de cette filière et notamment des tenants et des aboutissants du financement de la sortie d’un film, les recettes par exemple, les frais fixes, que veut dire « s’engager sur le long court ? » tout ça ce sont des choses que les producteurs, les réalisateurs, les exploitants ne maîtrisent pas toujours, et de la même façon, nous, distributeur, nous n’avons pas toujours conscience de certaines réalités des exploitants par exemple.

Il n’existe toujours pas de loi sur la rémunération des réalisateurs pendant les tournées et il y a plein de salles qui ne comprennent pas qu’on leur demande de prendre en charge le transport et l’hébergement des réalisateurs afin que nous puissions prendre en charge le cachet. Il y a une grande part de manque d’information que ce soit d’un côté ou de l’autre. Du coup, un temps de formation serait nécessaire, à la fois sur la construction d’un budget de sortie par exemple, les droits, les liens avec les producteurs et les réalisateurs, afin de démystifier le métier, faire tomber les barrières et pourquoi pas inventer des nouvelles choses !

Idem pour les universités, à part à la FEMIS, il n’y a pas de formation en diffusion, alors que je pense que ça pourrait être tout à fait pertinent.

Quelles sont vos actualités à venir ? 

Soy Libre qui est sorti le 9 mars, a une très très belle presse, c’est un film ACID qui draine un public jeune. On a eu une séance à Tourcoing et les trois quarts de la salle avaient moins de 30 ans !

On prépare également la sortie de Ghost Song prévue le 27 avril 2022. C’est un documentaire fabuleux de Nicolas Peduzzi également soutenu par l’ACID, qui suit le parcours de deux musiciens paumés dans un Houston vampirisant. Le film est rythmé par un ouragan qui approche comme une espèce de fatalité approfondie par la météo. Le film est ponctué d’énormes explosions de musique classique qui viennent contrebalancer le rap d’OMB, la folk de Will, c’est très beau ! Une tournée de live sessions est prévue, avec Jimmy Whoo, le compositeur de la B.O. du film. Nous serons d’ailleurs à Amiens, au cinéma Orson Welles, le 29 avril pour une projection suivie d’un concert, puis au Fresnoy le 30 avril.

Pour le reste de notre actualité, il y a 107 Mothers de Peter Kerekes qui a remporté le grand prix au festival des Arcs. C’est un film slovaque mais qui se déroule en Ukraine, à Odessa, dans une prison pour femmes. C’est un film magnifique qu’on commence à diffuser et qui sortira probablement pour la rentrée de septembre.

Et puis un autre film qui s’appelle Tranchée de Loup Bureau, un journaliste spécialiste de l’Ukraine. Ça se passe dans les tranchées du Donbass avant le conflit que l’on connaît aujourd’hui. Ce sont en fait les prémices du conflit actuel. Ce n’est pas un film géo-politique mais plutôt un film à hauteur d’homme : l’ennui et l’attente dans les tranchées. On s’est d’ailleurs demandé si, avec l’explosion du conflit, ce ne serait pas considéré comme de l’opportunisme. Mais c’est un film tellement dément, avec un regard si inhabituel, que l’on a vraiment envie de le sortir, de le travailler avec délicatesse, sur des séances accompagnées, afin d’apporter un regard sur le conflit ukrainien et d’y apporter une forme de solidarité.

Bande annonce Ghost Song

Réserver sa place pour le showcase Jimmy Whoo + Séance rencontre Ghost Song, 29 avril 2022, Amiens

Pour en savoir plus
>>> https://www.alchimistesfilms.com

 

* La spécificité du festival consiste en l’accueil de lycéens en terminale « spécialité cinéma », venus de toute la France. Dans le cadre de la préparation de leur futur baccalauréat, l’occasion leur est donnée de rencontrer les réalisateurs, scénaristes, techniciens, acteurs, ainsi que des critiques, historiens ou enseignants du cinéma présents à Sarlat durant le festival.

 

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