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"Je ne voyais pas comment le cinéma pouvait être un métier !"
Rencontre avec Mélissa Petitjean, mixeuse son

Chaque film a sa propre signature sonore et c’est, entre autres, grâce au travail de la production son. Mélissa Petitjean, passionnée par son métier, raconte comment elle fabrique des histoires avec du son. Avec 70 films à son actif et un César du meilleur son, elle explique sa délicate intervention à la dernière étape du film…

En quoi consiste votre métier ? 

Dans le processus de création d’un film, il y a le tournage, ensuite le montage pour assembler les images et les sons et le film se finalise par la post production son. J’interviens dans cette dernière phase de fabrication qui regroupe le montage et le mixage son en mettant en avant les intentions de mise en scène du réalisateur grâce au son du film.

Concrètement ça veut dire quoi ? 

Si une séquence de film se passe entre deux personnages dans un bar, le tournage se fait sans le bruit habituel d’un bar parce que sinon on ne peut pas entendre les dialogues des protagonistes. Il faut donc ajouter des sons, spécifiques du lieu, tout ce qui nous fait croire que nous sommes bel et bien dans un bar, et il faut décider quel sera le niveau du volume, pour créer les sensations que le réalisateur veut transmettre. On peut décider qu’on relègue au deuxième plan les personnes qui parlent au bar, pour donner de l’intimité aux protagonistes, ou au contraire les faire envahir par le son ambiant. Cela ne donnera pas le même film. Le son peut complètement changer la perception du film.

Toutes les ambiances, les effets de ce qui se trouve “hors champ” c’est également le travail de la post production son. Si, par exemple, quelqu’un est enfermé dans une maison et qu’il y a un orage dehors. Il se peut que l’orage n’ait même pas eu lieu pendant le tournage, il existera uniquement parce qu’on va l’entendre par l’ajout des sons. 

D’où viennent les sons ? 

Beaucoup de sons viennent du tournage, parce que les ingénieurs prennent, en plus de l’enregistrement des sons du tournage,  des sons seuls qui sont des sons supplémentaires enregistrés pendant le tournage. Cela se fait surtout quand un tournage a lieu dans un contexte particulier comme un désert, une piscine, une usine, au bord de la mer… Le son est très lié au décor et certains sons sont très difficiles à reproduire sans ce décor. 

Mais nous, professionnels du son, nous avons tous une sonothèque personnelle que nous alimentons, au fur et à mesure que nous travaillons sur des films, et entre collègues on fait des échanges !  

Comment arrive-t-on à se dire, quand je serai grande je serai mixeuse de son ?

Cela s’est fait par étape. Tout a commencé par la musique. J’ai joué du violon, il y a eu l’école de musique, le conservatoire aux horaires aménagés… et à l’occasion d’un enregistrement par Radio France de notre orchestre, j’ai vu les ingénieurs du son travailler. J’avais 12 ou 13 ans et cela m’a fortement interpellée. Par la suite, il y a eu une discussion avec un prof de physique et grâce à ses encouragements, je me suis orientée petit à petit vers les métiers du son. D’abord, je voulais être ingénieur du son pour la musique classique, puis j’ai intégré une classe préparatoire, Ciné-Sup à Nantes. Au départ, je ne voyais pas comment le cinéma pouvait être un métier. Mais c’est là que la passion du cinéma m’a mordue, par la puissance du son et de l’image mélangés et j’ai passé le concours et intégré la Fémis ! 

Le travail au quotidien se passe comment ?

La post production son se fait dans la continuité et chronologie du film. La journée commence donc en écoutant ce qu’on a fait la veille. Pour se remettre dans le bain mais aussi pour vérifier le travail. Le son joue davantage sur les sensations que sur le conscient, et parfois en fin de la journée, quand on est fatigué, on peut faire des choses qui ne sont pas très adaptées au film. Il faut toujours se méfier de son propre état émotionnel, physique au moment où l’on travaille. Le son est très subliminal, et on a un grand pouvoir de diriger les émotions du spectateur.

Nous sommes en lien permanent avec le réalisateur pour échanger sur la mise en scène, les intentions, toutes les décisions sont prises en collaboration. Le réalisateur nous précise le dosage et la hiérarchisation des sons et nous travaillons dans le sens de sa demande.

Une autre responsabilité du mixeur, c’est la réception du son dans l’espace de la salle de cinéma. C’est lui qui équilibre le son par rapport aux différents sources sonores dans la salle. Le mixage son est la seule étape du film qui se travaille dans des auditoriums qui ressemblent à des salles de cinéma, pour trouver les mêmes conditions de réception du film que les futurs spectateurs. 

La relation avec les cinéastes ? 

Quand le film arrive chez moi, il reste encore 3 à 4 semaines pour finaliser ce long parcours de création qui dure parfois depuis 4 à 5 années. Il faut tenir compte de l’état psychologique dans lequel le réalisateur se trouve. Il est au bout de la production de son film et, parfois, il est lui même aussi au bout du rouleau. Il y en a qui ont du mal à lâcher et d’autres au contraire qui ont déjà lâché, qu’il faut rattraper parce que nous ne pouvons pas travailler sans eux. Parfois des tensions ressortent, dans cette dernière ligne droite. Ce ne sont pas toujours des relations faciles, mais j’ai dans l’ensemble de très bons souvenirs des 70 films que j’ai mixés, parce que c’est dans cette relation, tendue parfois, qu’on apprend et approfondit notre métier.

Dans votre discours de remerciement pour votre César meilleur son en 2014 vous dites : « Les femmes sont des mixeurs comme les autres ». Est-ce qu’aujourd’hui, 9 ans plus tard, vous avez encore besoin de vous exprimer ainsi ?

Malheureusement oui ! Nous ne sommes que quelques femmes à vivre du métier de mixeuse long métrage. Je donne des cours à Louis Lumière, à la Fémis, et le pourcentage de femmes est très réduit. Même si cela a évolué, c’est encore trop peu ! Dans mon quotidien, je fais de la discrimination positive, c’est-à-dire n’accepter quasiment que des stagiaires femmes, et quand on me demande un contact pour me remplacer, je donne en priorité un contact femme. Cela peut paraitre extrême, mais on est aujourd’hui encore dans un monde où c’est très compliqué de faire ce métier quand on est une femme. Je me dis que mon César permet de montrer qu’une femme peut, non seulement y avoir sa place, mais être reconnue pour la qualité de son travail. Je suis consciente que globalement je ne m’en sors pas mal. Je fais partie de celles qui sont le mieux loties. Je pense aux jeunes femmes qui arrivent, à qui on va faire moins confiance parce qu’elles sont des filles et ça, c’est insidieux. C’est difficile à montrer et à faire entendre, c’est un sexisme ordinaire.