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DE PIONNIÈRES DU CINÉMA À PREMIÈRES

Le terme de « pionnières », largement répandu ces dernières années, a le mérite de faire sortir de l’ombre les réalisations de femmes mises de côté dans l’histoire du cinéma. Pléthore de ressources, podcasts, livres, études… viennent aujourd’hui enfin combler cette injustice. Ici et là, on en a pioché quelques uns pour agrémenter votre été.

Qui sont les pionnières du cinéma ? Pourquoi ont-elles été oubliées si longtemps ? Et comment influencent-elles les cinéastes d’aujourd’hui ? En 2021, le premier numéro de la revue cinéma féministe, Sorociné, est intitulé Premières. Ce terme plus souple et moins rattaché à la naissance du cinéma, vient définir celles qui ont fait avancer le cinéma hier, continuent de le faire avancer aujourd’hui et le feront encore demain.

FAIRE PLACE AUX OUBLIÉES

1896. La Fée aux Choux, le premier film narratif de l’histoire du cinéma est réalisé par une femme. Son nom, maintenant bien connu, a longtemps été mis de côté : Alice Guy. En 1906, elle réalise Madame a des envies, un film dans lequel une femme enceinte a des envies bien particulières, et où la cinéaste bouscule les codes avec l’utilisation du regard caméra et du female gaze (pas encore défini comme tel à l’époque). S’ensuit la réalisation de plus de 100 films au cours de sa carrière, dont beaucoup ont été perdus ou détruits par manque de conservation.

« Peu de personnes le savent mais à sa création, de 1910 à 1920, Hollywood était paritaire. Les femmes y étaient aussi nombreuses que les hommes, occupant tous types de postes : réalisatrices, scénaristes, monteuses, cadreuses, cheffes opératrices. » écrit Iris Brey dans Sous nos yeux, Petit manifeste pour une révolution du regard. Une colossale étude menée par l’American Film Institute durant trois ans a révélé la contribution massive et pionnière des femmes à l’industrie du cinéma à l’époque du muet. Plus de 6 000 films ont été ainsi exhumés, dont la plupart ont été écrits, réalisés et produits par des femmes.

Et, comme l’ajoute Iris Brey, si Alice Guy et ses camarades, Lois Weber, Frances Marion, Dorothy Arzner, Mabel Normand, ou encore l’amiénoise Germaine Dulac, ont été ensuite oubliées, c’est « parce que l’histoire du cinéma a été écrite dans les années 1940, c’est-à-dire au moment où il n’y avait déjà plus de femmes à Hollywood (sauf devant la caméra !). » On croisera tout de même un peu plus tard, Ida Lupino, une des seules femmes cinéastes à travailler dans les années 50, qui réalise Outrage (1950), parmi les premiers films qui traite d’un viol du point de vue de la victime ; elle a par ailleurs a été saluée pour son traitement du film noir à travers ses autres réalisations.

UNE REPRÉSENTATION NÉCESSAIRE

Pour se projeter, nous avons besoin de représentations, de modèles. C’est pour cela que beaucoup d’initiatives ont vu le jour pour sortir les pionnières de l’oubli et mettre en lumière les réalisatrices, scénaristes, monteuses, compositrices, productrices, cadreuses, cheffes opératrices… d’aujourd’hui.

C’est ainsi que Véronique Le Bris a non seulement été à l’initiative de la création du prix Alice Guy, qui récompense le meilleur film d’une réalisatrice, mais a également écrit l’ouvrage 100 grands films de réalisatrices, De la fée aux choux à Wonder Woman quand les femmes s’emparent du cinéma, le premier guide retraçant près d’un siècle de films accessibles quasiment dans le monde entier.

Citons également l’ouvrage Sous nos yeux, petit manifeste pour une révolution à l’écran, inspiré de l’essai d’Iris Brey Le regard féminin, une révolution à l’écran, qui s’avère un outil d’éducation aux images précieux. Ce livre, illustré par Mirion Malle, s’adresse principalement aux nouvelles générations. Les autrices s’intéressent à la représentation des femmes, mais aussi des personnes issues des minorités de genre, de classe et de race, à l’écran, et dans tous les métiers derrière la caméra.

« Toutes et tous, nous vivons dans un monde où règnent les images : publicités, films, séries, jeux vidéo, porno… Ces images influencent la façon dont on pense, dont on vit, dont on aime. Malheureusement, dans la plupart de ces images, les représentations des femmes et de leurs corps racontent la même histoire : elles nous disent que ce que pensent et vivent les femmes n’est pas très intéressant. »

Pour battre en brèche ces idées reçues, le collectif 50/50 a été créé en 2018 dans l’objectif de lutter contre les inégalités de genre dans l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel. Il agit en faveur de la diversité et de la parité dans les métiers du cinéma, en incitant notamment les cinéastes, les sociétés de production et de distribution à engager davantage de femmes sur leurs projets. Le collectif a également lancé une charte pour l’égalité des sexes dans le cinéma, qui a été signée par de nombreux professionnels du secteur. Des évolutions ont déjà vu le jour, identifiées notamment grâce à létude Cinégalités.

Pour aller plus loin

Édition

  • LE BRIS Véronique, 50 femmes de cinéma, Marest Éditeur, 2018
  • LE BRIS Véronique, 100 grands films de réalisatrices, De la fée aux choux à Wonder Woman quand les femmes s’emparent du cinéma, Gründ, 2021
  • BREY Iris et MALLE Mirion, Sous nos yeux, Petit manifeste pour une révolution du regard, La Ville Brûle, 2021
  • Sorociné, la revue féministe, numéro 1, Premières, printemps 2021
  • Sorociné, la revue féministe numéro 2, États-Unis 2010-2020, printemps 2022
  • BACHY Victor, Alice Guy-Blaché (1973-1968), la première femme cinéaste du monde, Institut Jean Vigo, 1993
  • Dossier bibliographique Alice Guy à la Bibliothèque Nationale de France

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