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Entretien avec Hélène Desplanques, documentariste engagée

Hélène Desplanques s’engage dans tout ce qu’elle entreprend : films documentaires, articles, pièces de théâtre et bientôt bande dessinée. À travers tous ses projets,  elle raconte l’humain et met en lumière les luttes pour plus de justice sociale. Elle revient sur son parcours et ce qui la pousse à créer.

Commençons par le commencement : qu’est-ce qui t’a poussée à réaliser ton premier film ? Et pourquoi le documentaire plutôt qu’une autre forme ?

Le documentaire, ça a été un choix déterminé.

Au lycée, j’étais passionnée de cinéma. Après des études de lettres et de cinéma à Paris, je tente les écoles de journalisme et deviens journaliste chez France 3 pendant un an. Mais très vite, je suis frustrée : les images n’ont aucune importance, elles ne soutiennent que le commentaire.

À 24 ans, je me dis que ce n’est pas ce que je veux… et mon expérience me confirme que j’adore parler aux gens et m’intéresser à tout.

C’est ce qui t’a amenée au documentaire ?

Oui. Mon père me parle du Master de documentaire de création à Lussas. J’y passe un an et ça confirme ma voie : raconter des histoires avec ambition artistique et cinématographique, en utilisant le réel et en rencontrant les gens. À 25 ans, je réalise mon premier film, La Communauté du 28, avec le soutien de Pictanovo. À partir de là, c’est devenu vraiment une évidence.

Mais tu n’as pas fait que des films documentaires…

Les écarts que je prends par rapport au documentaire partent toujours de la même question : comment raconter le réel au mieux ?

Avec la pièce On n’est pas que des valises, j’accompagne les ouvrières de Samsonite dans leur combat jusqu’aux États-Unis. Je voulais un impact local plutôt qu’un deuxième film diffusé à 23 h sur Public Sénat. Hénin-Beaumont est alors dirigé par le Front National : je voulais montrer aux enfants que le courage peut venir de leur grand-mère, qu’on peut être ouvrière, avoir démarré à 14 ans à l’usine et ne pas avoir peur de prendre l’avion pour aller attaquer une multinationale aux Etats-Unis.

Le théâtre s’impose comme le mode le plus évident. Ce pari-là, d’ailleurs, il allait être totalement gagné. Les gymnases transformés en théâtre vont accueillir plus de 400 spectateurs qui n’y étaient jamais venus, mais qui viennent parce qu’ils connaissent quelqu’un sur scène. Pour moi, c’est toujours du documentaire, juste avec un autre mode opératoire plus léger.

Cet engagement pour faire connaître les luttes, on le retrouve particulièrement avec ton film Les Doléances.

Au départ, j’en fais aussi une pièce de théâtre, un « spectacle tout terrain ».
Au fil de mes recherches, je me retrouve aux archives. Et là, j’ai un choc. Un choc artistique, émotionnel, hyper fort. L’impression de découvrir un trésor patrimonial totalement inexploité, passé sous silence.
Huit heures à photographier des cahiers, et je me dis : qu’est-ce que j’en fais ? J’appelle mon amie Marie Liagre, metteuse en scène pour que ces pages soient lues sur une place de village, qu’elles reprennent leur place légitime.

On est en post-confinement, privés de théâtre. Et j’aimais l’idée de refaire du théâtre à l’ancienne, à la Jean Vilar, avec une forme légère qui tourne partout. En quelques mois, on crée le spectacle et on part jouer dans les villages des Hauts-de-France.
À la fin de cette tournée, j’en parle à mon producteur du Ministère : c’est lui qui me dit que ça peut aussi devenir un film.

Il y a eu un énorme travail d’écriture. On part d’un matériau en 2D… Là, j’ai des cahiers, des textes. Comment ça fait film ? Le plus évident, c’était de retrouver les auteurs des textes qui m’ont marquée. Ce sont de véritables enquêtes, avec souvent un très bon accueil.
Ensuite, je contacte des chercheuses. Elles ont une méthodologie, moi je peux être guidée par mes goûts, par l’émotion, par mon choix de mettre tel ou tel texte en avant.

C’est la grande joie de mon métier : apporter son point de vue personnel, avec une forme de responsabilité.

Les Doléances © Hélène Desplanques / 13 Prods

Sur Les Doléances, il y avait aussi cette nécessité citoyenne. J’avais découvert ce patrimoine, je ne pouvais plus faire semblant de ne pas le savoir. Pourquoi ces textes ont-ils été oubliés ? Il y a sûrement mille raisons. Mais à partir du moment où mon amnésie à moi a explosé, c’est devenu une responsabilité citoyenne.
Pour moi, la culture est politique. C’est ma conviction. Je pense qu’elle change les choses. Et cette arme que j’ai — faire des films, des pièces — je voulais la mettre au service de ces textes.

Je ne mesurais pas du tout ce que ça allait provoquer. Les Doléances, jamais je n’aurais pensé qu’on en serait là. Ce film a eu un écho incroyable : une députée a déposé une résolution, l’accès aux archives a été libéré, une plateforme numérique est à l’étude.

Mais la plus grande émotion, ça a été la tournée de projections. À un moment, je n’ai même plus pu suivre : plus de cent cinquante débats partout en France.
Dans leur sillage, des collectifs citoyens se sont créés pour aller aux archives, photographier, transcrire, débattre. Ce film a déclenché une vraie dynamique d’éducation populaire.

Oui, la culture est transformatrice. Elle ne l’est pas toujours, mais parfois, ça fonctionne.
Et ce n’est pas terminé : un éditeur nous a demandé de travailler sur un roman graphique, un ouvrage hybride qui paraîtra en 2027 pour prolonger cette lutte.

C’est une victoire citoyenne, Les Doléances. Et c’est important de continuer à raconter ça, pour dire que c’est possible.

Beaucoup de préjugés sont encore attribués au documentaire. Que dis-tu aux jeunes que tu rencontres qui ne connaissent pas bien cette forme et qui auraient des réticences à aller vers ce genre cinématographique ?

Je leur dis qu’ils font partie de la première génération qui a toujours de quoi filmer dans sa poche. Et ça, c’est un outil extraordinaire. Le documentaire, c’est le cinéma accessible à tous : faire sans argent, c’est la norme. C’est une pratique profondément démocratique, qui rejoint mon obsession de l’égalité.

En atelier, je leur dis aussi que c’est explorer la vérité de leur âge : faire du cinéma avec eux-mêmes, leur famille, leur réalité quotidienne.

Et même pour les futurs cinéastes, c’est une formidable école. Le récit, le regard, la distance entre filmeur et filmé : toute la grammaire du cinéma est déjà là.

Fuocoammare © 21Unoproductions- Stemal entertainement – Les Films d’Ici – Arte France Cinéma

Un film à conseiller pour le Mois du film documentaire ?

Les deux derniers que j’ai regardés, c’était Ceci est mon corps sur Arte et Save our Souls sur France TV, encore accessibles en replay.

Un film qui m’a particulièrement marquée, c’est Fuocoammare de Gianfranco Rosi, tourné à Lampedusa. Je l’ai vu deux fois, et j’y suis même allée pour découvrir le lieu du tournage. Ce film a de vrais personnages, une tension haletante : il emporte le spectateur dans une intrigue réelle. Un documentaire qui se vit comme un récit et ça, ça fonctionne magnifiquement.

 

Pour aller plus loin

 

Entretien réalisé par l’Acap, 17 octobre 2025.
Photo couverture © Hélène Desplanques