Acap – pôle régional image

2023, année du documentaire

2023, année du documentaire ? Sandrine Bonnaire et Yann Arthus-Bertrand sont les ambassadeurs de l’opération nationale. Bouillonnement des sujets, des formes, des lieux, des idées… Le documentaire d’auteur apparait comme l’un des endroits les plus libres du cinéma tout comme l’un des plus fragiles économiquement. Une occasion donnée ici d’en dresser un état des lieux.

Un texte par Erika Haglund, réalisatrice et référente du programme d’accompagnement de La première des marches documentaire.

 

Qu’entend-on par « documentaire » ?

Le mot est souvent équivoque, confondu avec un reportage journalistique de format long. En y associant « film » ou « cinéma », on relie bien la démarche documentaire et le geste cinématographique. En 1987, un label « documentaire de création » était créé, le définissant comme un film « qui se réfère au réel, le transforme par le regard original de son auteur et témoigne d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture. Il se distingue du reportage par la forte empreinte de la personnalité d’un réalisateur et/ou d’un auteur ». 

Le film documentaire est ainsi une œuvre de cinéaste qui entend apporter son regard, singulier, à un sujet donné. Il n’est pas un sous-genre du cinéma, mais du cinéma à part entière ! Il n’est pas un « faux film » si on tient pour « vrai film » le long métrage de fiction ! Pour Jean-Louis Comolli, le documentaire va encore plus loin : « Telle est la puissance du documentaire, de n’avoir pas besoin de la reconstitution, des décors, des maquillages, des subterfuges, bref des apprêts de la fiction, pour nous transporter dans une exaltation des êtres et des choses qui nous les fait sentir comme essentiels. »

Depuis quelques années, le documentaire est bien un lieu d’exaltation !

Nous avons pu récemment voir des films à dimension internationale (Little Palestine d’Abdallah Al-Khatib, The Last Hillbilly de Thomas Jenkoe et Diane Sara Bouzgarrou), des films au long cours (Adolescentes de Thomas Lifshitz ou Soy libre de Laure Portier), des films intimes (Ardenza de Daniela de Felice), des documentaires animés (Flee de Jonas Poher Rasmussen, Folie douce, folie dure de Marine Laclotte), des films qui interrogent le rapport de l’homme à la nature (La terre du milieu de Juliette Guignard, Les proies de Marine de Contes), des films qui témoignent de parcours de migration (Le chant des vivants de Cécile Allegra, Ceux de la nuit de Sarah Leonor, Traverser de Joel Akafou), des films sur des institutions et ses dysfonctionnements, l’école, l’hôpital, la prison, la justice, des films de lutte, de colère (L’époque, de Matthieu Bareyre), des films ayant pour matière des images préexistantes, archives, captures d’écrans ou images de vidéosurveillance (Clean with me, after dark de Gabrielle Stemmer, Il n’y aura plus de nuit d’Eléonore Weber…). Et ce ne sont que quelques exemples !

La richesse du documentaire réside dans ses multiples formes

Si l’on regarde les films documentaires produits ces dernières années, on s’aperçoit que ce sont des films à la croisée des genres, des horizons qui inventent sans cesse de nouvelles formes de récits, de rapports son/image, d’usages des matières.

Ce sont des films de cinéastes mais également de créateurs venus de la recherche, de l’ethnographie, de la sociologie. On pense par exemple à De cendres et de braises de Manon Ott qui fit conjointement un film et un livre de sa recherche aux Mureaux ou encore à Chowra Makaremi, réalisatrice de Hitch une histoire iranienne.

De plus en plus de plasticiens s’emparent également du geste documentaire, renouvelant sa pratique. Des films comme Churchill, la ville des ours polaires d’Annabelle Amoros (cette année aux Césars) ou Ovan Gruvan de Théo Audoire et Lova Karlsson sont des films qui rencontrent la fiction, dans une mise en scène hors cadre, une beauté visuelle travaillée, une poésie de l’étrange.

Il n’y a pas un genre documentaire, mais bien des genres documentaires, et plus encore une hybridation des matières : on ne sait plus où est le réel, notre regard est interrogé, chahuté, perturbé. Nous sommes actifs face aux images. En cela, chaque documentaire est bien une expérience du regard. En ces temps troublés, temps post-covid de guerre et de violence, de changement climatique et de dégradation de la biodiversité, sans doute avons nous plus que jamais besoin d’interroger le monde en marche. Et à l’issue d’une projection, pouvoir en parler, en débattre, voilà qui peut éclairer nos esprits.

Où voir tous ces films ? Comment y a-t-on accès ? 

Force est de constater que c’est assez peu sur les chaines de télévision, même s’il existe quelques niches de diffusion : 25 nuances de docL’Heure D sur France Télévisions, La Lucarne et Le Grand Format sur Arte. Public Sénat et LCP co-produisent également, modestement, quelques documentaires d’auteurs, de même que certaines chaines locales. Mais de manière générale, c’est bien le désengagement des chaines dans le documentaire de création et dans son financement qui rend le secteur très fragile économiquement.

Les films documentaires se verront alors en festivals : Cinéma du Réel à Paris, Etats Généraux de Lussas, Fipadoc à Biarritz, FID à Marseille, Sunny Side, Escales documentaires à La Rochelle, Ecrans documentaires d’Arcueil et bien d’autres. Chaque année en novembre, le Mois du film documentaire propose partout en France de nombreux films dans des médiathèques ou structures partenaires. Et Best of doc permettra de voir une sélection de dix documentaires en salles en mars.

Une douzaine de documentaires sortent en moyenne chaque mois. Notons qu’en vingt ans, leur nombre a été multiplié par six ! C’est que la raréfaction des cases dans les programmes télévisuels a naturellement conduit un grand nombre d’auteurs et de producteurs à se tourner vers la salle.

Le documentaire peut parfois y rencontrer un large public grâce à des succès comme La Panthère des neiges de Marie Amiguet et Vincent MunierAdolescentes de Sébastien Lifshitz, La cour de Babel de Julie Bertucelli et plus anciennement Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent ou encore Merci Patron ! de François Ruffin. Et les films de Mariana Otero, Nicolas Philibert, Frederik Wiseman ou Claire Simon sont attendus d’année en année par des spectateurs fidèles.

Mais la part de marché liée à l’exploitation des films documentaires reste relativement faible. La récente création du label Oh my doc ! a justement pour objectif d’aider à la médiatisation de ces films, qui ont besoin de temps pour faire leur place et nécessitent un accompagnement fort. La concentration des écrans ne joue pas en leur faveur alors même qu’il existe un public curieux de découvertes et de débat.

Enfin, l’autre espace de diffusion du documentaire est celui de la VOD. La plateforme TENK s’engage à la fois sur la diffusion et l’aide à la production, à travers des dispositifs de coproduction, d’aide au développement. Citons également Les yeux docs, Univers Ciné, Cinémutins…

De plus en plus de formations

Nourrissant la créativité du cinéma documentaire, remarquons qu’il existe de plus en plus de formations qui lui sont dédiées, formations initiales ou continues, ateliers de pitchs, résidences… Il est loin le temps où les étudiants de la Fémis ouvraient des yeux ronds quand on leur parlait documentaire. Au contraire, certains s’en revendiquent et défendent la porosité des genres : ne plus faire de distingo fiction-documentaire, ne plus placer le documentaire en sous-genre cinématographique mais au contraire affirmer la mise en scène du réel.

Alors, 2023 année du documentaire ?

On peut se réjouir que soit mis à l’honneur la créativité du genre et il convient sans nul doute d’éduquer davantage les regards au geste documentaire mais il ne faudrait pas oublier ceux qui le font et ont le sentiment d’une paupérisation croissante. Ce sentiment a d’ailleurs été vérifié au travers d’études récentes. S’y révèle en particulier la non adéquation entre le temps passé à travailler sur un film et le temps rémunéré et déclaré. Si on fait le rapport entre les rémunérations et le temps estimé en préparation, tournage et montage, on obtient une rémunération qui correspond à peine au SMIC pour nombre de cinéastes, qui complètent leur revenus par d’autres activités (enseignement, métiers techniques…). Les plus anciens témoignent même d’une perte de revenus qui peut aller jusqu’à 30% depuis une vingtaine d’années. En cause ? Des budgets insuffisants pour des temps de travail très longs, un désinvestissement global des chaines de télévision, une moindre prise de risque des producteurs en début de projets, des aides à la création parmi les plus concurrentielles.

Renforcer la visibilité de documentaires d’auteurs et d’autrices à la télévision comme au cinéma reste une vraie lutte. Il y va de l’intérêt public : ce sont des films qui interrogent, éveillent les consciences, ouvrent les débats et les horizons. Des films qui chahutent le monde. Écoutons les cinéastes : « Nous allons à la rencontre du réel pour que ce réel nous change, pour que se transforme l’idée que l’on pouvait s’en faire avant de le filmer. » De même, lorsqu’on regarde un documentaire de création, on vit une expérience qui déplace notre regard et nous ouvre à l’autre.

 

RESSOURCES

CNC année du documentaire

Autour du documentaire

Revues

  • Images documentaires
  • La revue documentaire
  • Traverses