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Une caravane sur les routes pour redonner la parole aux citoyens

Mobile et insolite, la Caravane des médias sillonne les routes des Hauts-de-France à la rencontre de ses habitants. L’objectif ? Échanger, expérimenter et (r)établir le lien entre citoyens et journalistes. Clémence Boulfroy, directrice de l’association Carmen, revient sur la naissance du projet, son fonctionnement… et ses perspectives d’avenir.

La Caravane des médias, c’est quoi ?

La Caravane est née en 2020, juste avant la crise sanitaire, suite à la volonté de la DRAC Hauts-de-France de créer des projets originaux d’éducation aux médias, à l’information et à la liberté d’expression, en particulier dans les zones rurales. Le projet de la Caravane a obtenu en 2023 le prix des Assises du Journalisme de Tours, ce qui a fait des émules depuis et d’autres caravanes se sont développées dans différentes régions (Ile-de-France, Centre-Val de Loire) ou sont en projet (PACA, Nouvelle Aquitaine). Soutenue par la DRAC et la Région, la Caravane propose un dispositif itinérant et immersif dans les cinq départements des Hauts-de-France.

Concrètement, une équipe de trois journalistes part en tournée plusieurs fois par an. Chaque semaine d’itinérance, ils s’arrêtent dans quatre communes rurales, une journée par lieu.

L’enjeu de cette initiative est de créer un moment de dialogue et de création avec les habitants sur la manière dont ils s’informent, vivent, consomment, partagent et comprennent l’information, dans des lieux du quotidien, pas forcément culturels.

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« Beaucoup de citoyens se sentent exclus des discours médiatiques dominants, ce qui génère un sentiment d’invisibilité et de désengagement. Dans les zones rurales peu représentées dans les médias, où les agences locales ferment tour à tour, où les correspondants ne sortent pas de leurs zones de chalandise et où l’accès à la presse papier et magazine n’est pas forcément aisé, ce projet répond à plusieurs besoins et problématiques : besoin d’information, de représentation, d’identification, d’espaces d’expression et d’information locales, de socialisation. »

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Recouverte d’alu et immédiatement reconnaissable, la Caravane n’est pas un lieu dans lequel on entre. C’est un symbole, comme un totem installé au cœur de l’espace public. Elle marque l’ouverture d’un espace d’expression citoyenne, où chacun peut proposer dans un premier temps, des sujets de débat en inscrivant ses questions sur des post-it collés directement sur ses parois. Un atelier de deux heures est ensuite organisé avec les habitants. L’objectif : produire ensemble un article avec des consignes comme par exemple : créer la Une d’un média idéal, rédiger un article local, raconter un souvenir médiatique, etc…

Qui sont les journalistes qui vous accompagnent ?

Ce sont des journalistes avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années et qui sont formés à la pédagogie active de l’éducation aux informations et aux médias. Ils savent s’adapter aux réalités locales et accompagner les habitants dans l’appropriation de l’information, la prise de recul et la construction d’un esprit critique. Leur approche est centrée sur le faire ensemble : aller vers, travailler avec, faire faire.

Par ailleurs, cette expérience sur le terrain, complémentaire à leur activité professionnelle, leur permet aussi d’apporter de la nuance dans leurs propos, de réfléchir aux représentations et aux préjugés qu’ils pouvaient avoir.

À qui s’adresse la Caravane ?

À tout le monde ! Nous allons à la rencontre des publics dans les écoles, les clubs sportifs, les centres sociaux, les bibliothèques, les maisons de retraite, mais aussi sur les marchés, devant les supermarchés, les piscines, ou dans les cafés.

On sort des lieux habituels de la culture pour aller là où se trouvent les gens, avec des publics non captifs. En revanche, pour les ateliers, nous organisons toujours une séance par jour avec un groupe identifié en lien avec les partenaires locaux d’EMI’cycle. Le reste est ouvert à toutes et tous.

Qu’avez-vous observé depuis le début du projet ?

Au départ, pendant la crise sanitaire, la situation était assez crispante pour les citoyens sur-exposés à l’information, pas toujours vérifiée, parfois fausse ou manipulée.

Avec la période consécutive Charlie Hebdo, gilets jaunes puis Covid, la profession de journaliste a été fortement ébranlée et beaucoup de personnes rencontrées ont témoigné s’être rabattues sur des médias locaux, avec des informations moins en continu et moins anxiogènes. L’intérêt semble désormais davantage porté sur le journalisme positif, les documentaires et les infos locales avec des initiatives de proximité, des réussites, etc. Les habitudes changent même s’il est difficile de faire des généralités.

Depuis 2022, l’équipe travaille chaque année autour d’une thématique : jeunesse, femmes, vieillesse… avec la création d’un blog en complément. La thématique permet d’affiner les questions de représentation, de mettre en avant des minorités sous représentées ou mal représentées, en sortant des idées préconçues. Et le blog permet de parler autrement de ces catégories de personnes, proposer d’autres approches que celles dénoncées par les citoyens rencontrés.

Des nouveautés à venir ?

Nous avons souhaité faire évoluer le projet avec l’expérimentation du médiaphone. C’est un média sonore éphémère avec des capsules audio réalisées sur place, avec les habitants, et diffusées ensuite dans l’espace public grâce à un dispositif mobile. Le contenu, très ouvert, raconte autrement le territoire sur lequel les gens habitent.

Chaque jour, un podcast collectif est produit, mixé et diffusé en fin de journée. En fin de semaine, on obtient une émission d’environ une heure. L’équipe reste composée de professionnels de l’EMILE, mais elle accueille aussi une technicienne son et un musicien. Le tout dans l’esprit de la Caravane : itinérance, création partagée et rencontre.

Une anecdote marquante ?

Oui, lors d’un atelier au centre social rural de Saint-Michel, près de Hirson. Nous avons travaillé avec un groupe de femmes en chantier d’insertion, sur le thème de la confiance en soi. Au début, elles étaient discrètes, réservées. Puis, au fil des échanges, on voyait qu’elles prenaient plaisir à se raconter un peu. Elles ont commencé à s’encourager mutuellement, à poser des mots sur ce qu’elles faisaient.

L’atelier s’est poursuivi par une séance où elles se prenaient en photos elles-mêmes, en décidant de la pose et du lieu. Elles ont ensuite rédigé la légende de leur propre portrait. On sentait qu’elles s’étaient prises au jeu, qu’elles avaient réussi à nous faire et à se faire confiance. C’était vraiment très émouvant de voir ça dans leurs yeux.

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Crédits photos © Simon Lambert, Clémence Leleu, Timothée Vinchon – La Caravane des médias