Acap – pôle régional image

ENTRETIEN AVEC LE DIRECTEUR DU FESTIVAL BRANCHE & CINÉ

Archéologue et passionné de cinéma, il y a trois ans, Guillaume Benaily créait Branche & Ciné, un festival de cinéma plein air en forêt porté par l’Office national des forêts (ONF). La 3e édition aura lieu du 18 juin au 17 juillet 2021, l’occasion de s’entretenir avec lui, sur ce festival singulier qui met à l’honneur la forêt et l’arbre sous toutes ses formes et qui s’inscrit, dans le cinéma d’hier et d’aujourd’hui.

Pourquoi une telle volonté de l’ONF de créer un festival de cette ampleur au sein de ses forêts ? Découverte du cinéma ? Découverte des sites ? 

Les deux. L’ONF souhaite s’ouvrir vers l’extérieur et faire connaître ses différents massifs forestiers, offrir un autre regard et d’autres lectures de nos forêts. Le cinéma est l’occasion d’aborder la représentation des paysages forestiers sous différents prismes : cinématographique et végétal. Dans le cinéma, la forêt joue des personnages différents, parfois avec le premier rôle et parfois avec un rôle d’arrière-plan.

Des cinéastes tels Werner Herzog, John Boorman, Otar Iosseliani ou encore Hayao Miyazaki ont souvent exploré l’univers forestier en se confrontant soit à la dureté d’un tournage dans des forêts pas toujours hospitalières, soit à la beauté d’un bois, d’un arbre, d’un tronc ou d’une feuille.

C’est une très belle exposition au musée d’Orsay en 2007 intitulée « Forêt de Fontainebleau, un atelier grandeur nature », qui a fait naître ce projet de festival et plus particulièrement une salle intégralement dédiée aux premiers films tournés en forêt de Fontainebleau dès 1905. Un émerveillement qui m’a ouvert les yeux sur tous les rôles que pouvaient jouer une forêt, de cet immense lieu de tournage à ciel ouvert.

Ce festival est un questionnement perpétuel sur notre rapport à la nature, au cinéma. 

Vous arrivez à mobiliser les forestiers dans le festival, à convaincre des figures emblématiques du cinéma comme Juliette Binoche, vous êtes archéologue et directeur du festival, c’est assez atypique non ?

Atypique, je ne sais pas. L’archéologie en forêt est l’étude de vestiges anciens associée au monde végétal. La biodiversité des forêts actuelles est fortement influencée par l’usage ancien de leurs sols. Des découvertes récentes en archéologie forestière montrent qu’il existe des liens entre les variations de la flore et des sols et l’histoire de l’occupation ancienne et plus particulièrement antique. Cette dualité inattendue entre l’archéologie et la botanique traduit probablement chez moi ce besoin d’altérité.

Mais l’une des singularités de ce festival est d’être portée par un établissement public, l’Office national des forêts, premier gestionnaire d’espaces naturels en France. 

Ce festival mobilise de nombreux métiers de forestiers : des experts arbres pour diagnostiquer les arbres dangereux sur les sites de projections, des élagueurs bûcherons pour sécuriser les lieux, des paysagistes pour les aménager et accueillir les spectateurs dans de bonnes conditions, les botanistes et écologues qui s’assurent que les projections ne nuiront pas à la faune et à la flore locale, sans compter les agents forestiers locaux et animateurs nature qui s’attèlent à transmettre la mémoire de nos forêts. Chaque année, le festival mobilise plus de 40 personnes de l’ONF sans compter le soutien de nos collectivités et structures partenaires.

D’avoir Juliette Binoche comme marraine du festival depuis sa création en 2018 est un privilège et une joie. Chaque année, elle s’investit dans notre projet, mène des entretiens avec chaque invité d’honneur du festival. En 2018, elle s’est rendue au Japon en banlieue de Tokyo aux studios Ghibli pour interviewer Le maître du cinéma d’animation japonais Hayao Miyazaki pour parler arbres et forêts. Cette année, c’est le réalisateur Michel Ocelot, le papa de Kirikou qui s’est prêté au jeu des questions de Juliette Binoche. En 2019, c’était Jacques Perrin. Tous des amoureux de la forêt et de la nature !

Comment le festival s’insère-t-il dans le contexte environnemental ? Quels espaces lui sont consacrés ?  

Le festival est présent en région Normandie, dans les Hauts-de-France et en Île-de-France. Cette année, les séances plein air s’organisent autour d’une quinzaine de lieux dans des forêts domaniales gérées par l’ONF : une petite clairière au détour d’un chemin forestier, un carrefour en étoile aménagé pour les chasses royales au XVIIIe siècle, dans un hippodrome construit sous Napoléon planté au milieu d’une forêt, sur un grand dépôt de grumes, sur une ancienne allée royale. Le festival se produit également dans des domaines boisés de collectivités, dans des parcs de château comme celui de l’emblématique château de Pierrefonds dans l’Oise. La diversité des lieux de projection est l’identité du festival. Les sites sont choisis pour leur histoire, leur paysage forestier. Parfois, malheureusement, nous sommes contraints de délaisser des lieux magnifiques afin de ne pas nuire à la faune et à la flore.

Les deux premières éditions ont largement été plébiscitées par le public. Quelle expérience en retiennent les spectateurs ?

Nous avons été étonnés par l’enthousiasme des spectateurs qui déjà ont apprécié le confort des transats et des plaids mis à disposition gratuitement par le festival. Ils ont été à la fois surpris et émerveillés par l’ambiance si particulière d’une forêt la nuit. A la nuit tombante, tous les sens sont en éveil. Les silences de la forêt se font parlant. Certaines personnes découvrent le bruit du vent sur une feuille, hument les odeurs de la forêt comme des enfants découvrant les senteurs d’une orange et que dire lorsque des chauves-souris viennent tournoyer autour de l’écran lorsque le projecteur s’allume… une magie s’opère. Un rapport nouveau entre le spectateur et la forêt se fait jour. Allongé dans son transat, emmitouflé sous la couverture, le spectateur contemple les ombres de la forêt en attendant le film. Une nouvelle expérience commence alors et l’autre magie, celle du cinéma, peut opérer.

Chaque année, une nouvelle thématique est abordée. Comment se constitue la programmation ? Y a t-il des nouveautés cette année ?

Il était important en créant ce festival de se questionner sur les représentations de la forêt dans le cinéma. Pour cela, nous avons décidé d’insérer un thème nouveau chaque année qui permet à un comité présidé par une personne issue du milieu du cinéma (jusqu’à maintenant) et ayant un rapport fort avec la forêt, de plancher avec des universitaires, des journalistes, des cinéastes, des acteurs de pôle régional image comme l’Acap et Normandie Images, des forestiers sur une sélection plein air et en salles « raisonnée ».

En 2018, la thématique était l’enfance et la forêt avec des films comme Stand by Me de Rob Reiner, Moonrise Kingdom de Wes Anderson ou encore Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki.

En 2019, nous avons exploré les forêts du monde avec des films comme Sibel de Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, L’Etreinte du serpent de Ciro Guerra. Et pour la 3e édition, le thème est l’Afrique et son cinéma avec beaucoup de films de cinéastes africains, des premiers films, un focus sur Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot, et des inédits à découvrir à partir du 18 juin.

Une des nouveautés de cette année est l’ouverture du festival à des sites de projections plein air inédits : de nouvelles forêts comme celle de Phalempin dans le Nord et la forêt régionale de Bondy en Seine-Saint-Denis, le parc du château de Pierrefonds dans l’Oise, le domaine de Villarceaux dans le Val d’Oise. L’autre nouveauté est la programmation de films et d’animations dans des médiathèques de l’Essonne.

Pour la réalisation de la bande annonce du festival, nous avons fait appel pour la première fois à des étudiants d’une école d’animation, l’école des arts graphiques animés basée en Normandie, Laniméa. Le résultat est très séduisant et amènera probablement à de nouvelles collaborations.

Comment imaginez-vous l’évolution du festival dans les années à venir ? Un festival national ?

Je ne sais pas. Le festival est jeune. Il a seulement 3 ans. Nous avons de plus en plus de sollicitations dans des régions comme le Grand Est. Nous sommes en pleine réflexion autour des nombreuses perspectives d’extension du festival Branche & Ciné en dehors des régions des Hauts-de-France, de l’Île-de-France et de Normandie, sur notre organisation. Nous souhaitons travailler davantage avec les collectivités, les structures associatives locales, les salles de cinéma. L’ONF est actuellement un acteur environnemental connu et reconnu, le festival Branche & Ciné, dévoile peut-être un futur acteur culturel reconnu dans les années à venir dans le cinéma mais aussi dans le spectacle vivant, les arts plastiques. La forêt pourrait être davantage une terre d’accueil enchanteresse pour des compagnies de théâtre, des artistes, des musiciens… La forêt un immense lieu de création et de représentations artistiques à ciel ouvert.

Retrouvez toute la programmation et infos sur le festival Branche & Ciné 2021 ici. 

BANDE ANNONCE DU FESTIVAL