L’art, ce pas de côté pour lutter contre l’échec scolaire
Les problématiques d’échec scolaire poussent chaque enseignant à se réinventer sans cesse. Plus largement, la grande difficulté scolaire n’est pas sans interroger les acteurs de la communauté éducative qui se donnent pour mission d’accompagner les enseignants dans cette lourde tâche d’y remédier. Quels leviers l’art peut-il offrir ? Julie Deborde, professeure des écoles, apporte son regard sur la question.
La classe artistique, un dispositif intéressant
« Ce sont de vrais temps forts pour les élèves, ça marque leur année scolaire, un tel projet, ça a beaucoup d’impact pour les enfants », c’est ainsi qu’une enseignante résume son expérience de « classe artistique ». Ce dispositif, porté, entre autres, par l’association socioculturelle La Source1 , permet à des classes d’expérimenter la démarche de création aux côtés d’artistes. Les élèves sont alors plongés dans l’univers d’un artiste sur une semaine complète. Lors de cette semaine, qui se déroule parfois dans un autre lieu que l’école, à l’image des « classes de découvertes », il leur est proposé des temps de rencontre avec l’artiste et ses œuvres, des temps de pratiques artistiques, nommés ateliers, qui aboutissent toujours à une production collective finale, et des temps plus informels autour de la vie du groupe. C’est en trinôme que l’enseignant, l’animateur et l’artiste portent le projet. Pour Agnès, directrice de La Source-Villarceaux « ce trinôme est capital, il est le fondement de tous les ateliers [car] l’artiste a sa vision, sa ligne artistique et l’animateur essaie de guider les enfants vers ce chemin qui est inconnu pour tous »2 .
Ainsi, il est intéressant de mesurer l’impact d’une telle pratique sur les élèves en situation d’échec scolaire.
Pour Philippe Meirieu, chercheur spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie, l’élève en échec scolaire est « en rupture par rapport à l’institution, au travail et au savoir scolaire »3 . C’est un profil d’élèves pour lequel les multiples remédiations classiques ne sont pas parvenues à résoudre les difficultés. Cette résistance est le produit de multiples facteurs, qui sont changeants, s’alimentent et ne sont pas toujours clairement identifiables.
Dans quelles mesures, un dispositif tel que celui proposé par La Source permet d’apporter des clefs pour y pallier ?
Proposition d’un nouvel espace
Plusieurs enseignants font état d’une inadéquation entre l’élève en grande difficulté scolaire et le système éducatif : « l’élève en grande difficulté scolaire ne peut pas s’adapter au système éducatif » ; ou encore « l’élève en grande difficulté n’est pas adapté à un système lui-même inadapté à sa difficulté. »
Les classes artistiques semblent apporter une réponse à cette inadaptation réciproque. En effet, elles permettent de faire sortir les élèves des salles de classe mais également de faire entrer dans l’école, des partenaires qui prennent une place différente de celle de l’enseignant, tant dans la relation avec les élèves que dans l’approche proposée. Ainsi ces actions se révèlent être un formidable moyen de bouleversement de la « forme scolaire », qui peut être définie comme l’ensemble des contraintes, règles et manières d’enseigner, traditionnellement utilisées à l’école.
De plus, comme le mentionne Alain Kerlan, philosophe engagé dans les réflexions sur l’art et l’éducation, « l’artiste apporte une nécessaire et salutaire déstabilisation »4 . L’approche en art, qui diffère de celles utilisées lors de matières dites « scolaires », laisse place à l’imprévu, propose des instants de flottement et valorise le questionnement. Cette flexibilité, permise par les changements spatiaux, matériels et identitaires qui créent des espaces hors menace, sécurisants et sécurisés, s’invite dans un système traditionnellement assez rigide.
Cette approche, moins stricte et plus souple réouvre le champ des possibles à l’école, remobilise, remotive et réamorce, chez certain, le cercle vertueux de la curiosité et des questionnements ; et donc par essence des apprentissages.
Réparation du rapport à soi
Laure, artiste engagée dans une des classes artistiques observées, soutient que « la création permet aux enfants une évolution du regard qu’ils ont sur eux-mêmes. Ils sentent qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses et qu’on leur demande juste d’être eux-mêmes et de trouver leur façon à eux de créer et de s’exprimer. On sent qu’ils prennent une liberté et à travers ça, qu’ils arrivent à s’ouvrir. » Elle poursuit en illustrant son propos : « Par exemple, à l’encre, certains avaient des difficultés à tenir le pinceau d’une certaine manière, pour que le trait soit fin. Finalement, on se rend compte que l’on peut trouver des solutions pour qu’ils arrivent à le faire. Par ce geste simple, tout d’un coup, ils étaient extrêmement fiers d’eux parce qu’ils arrivaient à le faire, à dessiner avec l’encre. »
L’estime des élèves en grande difficulté est souvent malmenée à l’école. Face aux échecs répétés, les élèves se dévalorisent et leur champ des possibles se rétrécit considérablement. L’art leur offre un espace où l’échec n’existe pas. Il n’est jamais question de bonnes ou de mauvaises réponses car tout est permis et possible. Cet espace permet non seulement une revalorisation de chacun par la mise en réussite, mais également le changement des visions, parfois inconsciemment dévalorisantes, que portent sur eux les enseignants. En effet, aux yeux des intervenants extérieurs, ils n’appartiennent pas à cette catégorie d’élèves en échec.
L’art leur offre alors une vision d’eux-mêmes moins négative et plus juste. Ils s’autorisent à être valorisés, à avoir confiance et à croire en eux. Cette réhabilitation influence leur manière de se présenter au Monde et d’envisager les possibles.
« Mieux-être » au Monde et parmi les autres
L’art est un puissant moyen d’expression dont tout le monde peut se saisir, puisqu’aucune compétence préalable n’est attendue. Au-delà des expressions écrite et orale, largement valorisées en classe, l’art offre une importante diversité de moyens d’expression. Ainsi, pour Nathalie Dupont, chercheuse au CIRNEF, Centre Interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation, « l’éducation artistique et culturelle introduit un rééquilibrage émotionnel […] par un espace ouvert à une expression autre qu’orale et écrite légitimées par le système scolaire »5 Les langages proposés sont multiples : langage du corps, des images, des sons… Les élèves trouvent dans ces espaces, d’autres outils que la violence pour exprimer des émotions telles que la peur, l’angoisse, la souffrance, la colère. Cette ouverture est importante pour des enfants qui ne perçoivent pas l’école comme un lieu où ils peuvent être compris et entendus.
Ainsi, les pratiques artistiques favorisent l’intelligence émotionnelle et le développement des compétences psychosociales : de précieux outils pour vivre le Monde et ses rapports aux autres plus sereinement.
Une solution miracle ?
La question sous-entend évidemment la réponse… Bien sûr, il n’existe aucune solution miracle, et ce, pour plusieurs raisons.
J’aime rappeler que c’est toujours l’enfant qui « aura le dernier mot ». Victor, artiste à La Source-Villarceaux, illustre ce propos par une jolie métaphore : « je sème des graines et puis après c’est à elles de germer. Est-ce que les conditions y sont favorables ou pas, ça je n’ai pas de maîtrise dessus ». En effet, il serait illusoire de penser qu’il suffirait d’inscrire l’enfant dans un projet artistique pour que ce dernier s’épanouisse, s’ouvre, retrouve confiance en lui et foi en l’école. De multiples autres facteurs, que l’on ne maitrise pas directement, sont à prendre en compte : situations familiale et sociale, difficultés cognitives et émotionnelles. Autant de barrières qui peuvent ne pas le rendre perméable à ce qui lui est proposé.
Enfin ne perdons pas de vue que l’art est une porte, une ouverture, un espace, une piste possible, mais pas la seule… Le plus important, reste à mon sens, de se questionner, toujours, pour continuer de chercher, encore, et parvenir à trouver, parfois, d’autres alternatives.
Pour aller plus loin
OUVRAGES
- Lauret J.-M. (2014). L’art fait-il grandir l’enfant ? Essai d’évaluation de l’éducation artistique et culturelle (Éditions de l’attribut).
- Barboni M., Gache M. & Ronin M.-A. (2003). Reconstruire le désir d’apprendre par les pratiques artistiques. La démarche exemplaire de « Naître à l’art » (ESF).
- Deborde J. (2020). Les projets artistiques à l’école : une voie de remédiation à la grande difficulté scolaire ? (L’Harmattan).
ARTICLES
- Chappuis V. & Lemonchois M. (s. d.). L’art pour changer l’école ? INRP, 7p.
- Jaloba D., Cubier S., Essaidi A. & Mainguy V. (2016). La culture et le sport, des outils de raccrochage par la « pédagogie du détour ». Resolis, (6), 58-61
PODCAST
- Touret L. (2015). L’enseignement artistique, réenchanter la classe avec le Théâtre. France Culture.
1 L’étude, dont est issu cet article, a été réalisée au sein de La Source-Villarceaux.
2 Les entretiens des personnes citées dans cet article ont été réalisés dans le cadre de l’étude menée à La Source-Villarceaux en mars 2019.
3 Meirieu, P. (2008). Lutter contre « l’échec scolaire » : Pourquoi? Comment ? Texte de synthèse : Première journée de refus contre l’échec scolaire, organisée par l’AFEV. – P1
4 Kerlan, A. (2012). Ce que l’artiste « fait » à l’école… De la maternelle au lycée et à l’université, l’engagement éducatif de l’art.
5 Dupont, N. (2015). L’éducation artistique : des enjeux de formation globale et d’émancipation d’un enfant-élève-apprenant créateur et citoyen. Spirale. Revue de recherches en éducation, (56), 117-128. – P122