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Transition environnementale du cinéma : où en sommes-nous ?

La nécessité de la transition environnementale de l’économie française tend aujourd’hui à faire consensus dans l’opinion publique. Or l’industrie cinématographique entretient un lien singulier avec les enjeux qui animent notre société. Présentation de l’impact environnemental du cinéma et analyse du niveau de prise de conscience par les acteurs de l’écosystème, par Juliette Vigoureux, Consultante indépendante Cinéma et Développement durable.

Août 2021, le GIEC publie un rapport dont les conclusions marquent un tournant dans l’observation de l’évolution du climat : il est désormais indiscutable que les activités humaines sont responsables du dérèglement climatique et l’ampleur du changement de température est inédite. D’ici 2100, si le niveau d’émission de gaz à effet de serre se prolongeait tel qu’aujourd’hui, alors la température moyenne serait supérieure de 4,8°C, évidemment insoutenable pour l’espèce humaine. Mais ce réchauffement global pourrait être limité à +1,5°C d’ici 2050 si des changements profonds et rapides se faisaient sans délai.

Parce que chaque dixième de degré compte, mais aussi pour le rôle central qu’elle occupe dans la vie de chacun à travers les récits qu’elle expose au public, la culture et particulièrement le cinéma doit s’interroger sur sa responsabilité environnementale. Si l’industrie cinématographique a tardé à entamer sa transition environnementale, on observe néanmoins une dynamique de prise de conscience. Comment les professionnels du cinéma se sont emparés des enjeux environnementaux de leur activité ? Que reste-il à faire ? Pistes de réflexion.

 

La nécessaire transition environnementale de l’industrie cinématographique

S’il occupe une place centrale dans la vie des Français, le cinéma est malgré tout fragile.

Le cinéma, première pratique culturelle des Français, inspire, provoque ses spectateurs de manière unique. Il questionne à la fois les raisonnements individuels mais aussi la conscience collective à travers les histoires qu’il narre et les différents « futurs » qu’il envisage. Sur le fond, les films environnementaux se développent et rencontrent des succès critiques et publics. En tant qu’expression artistique et miroir de nos sociétés, le cinéma a accompagné la montée en puissance de la question environnementale, dans des registres allant du sensationnalisme à l’éveil des consciences. 

Mais sur la forme ? L’heure n’est plus à la simple observation mais à l’action. Le niveau d’émission de gaz à effet de serre de l’industrie cinématographique, lié aux festivals mais aussi aux activités d’exploitation, distribution et production, traduit des risques : que se passerait-il dans un monde contraint en énergie fossile pour les multiplexes ou les grosses productions type blockbusters ? et quid des plus petites salles ou des films plus modestes ? La question s’est récemment posée dans un contexte de risques sanitaires accrus, il est nécessaire de se la poser aujourd’hui dans une perspective de choc énergétique afin d’anticiper au mieux les interrogations futures des professionnels et de leurs publics.

Le cinéma a-t-il vraiment un impact environnemental ?

Lorsque l’on se pose cette question, on est très vite tenté de s’en référer à ses intuitions mais le défi est bien celui de se confronter à la réalité. On entend des professionnels de l’exploitation revendiquer que les salles sont vertueuses car isolées thermiquement et phoniquement. On entend des producteurs affirmer que la suppression des bouteilles en plastique sur un tournage l’a rendu éco-responsable. On entend des artistes redouter que la contrainte écologique vienne entraver la création artistique. 

Mais qu’en est-il vraiment ? L’exploitation génère de nombreux déplacements de spectateurs (69% des Français vont au cinéma en voiture) et de professionnels (congrès, conventions, festivals…) ; d’importantes dépenses énergétiques (liées à la vie du bâtiment, à la projection numérique mais aussi aux transferts numériques – on estime à 14 millions de Go les flux générés par an par l’envoi de films et de films-annonces) ; la consommation de nombreuses confiseries et boissons (48% des spectateurs achetaient l’un de ces produits en 2019) et donc autant de déchets. La production d’un film implique le déplacement de dizaines de professionnels (38% des films français sont au moins partiellement tournés à l’étranger) ; la fabrication et souvent la destruction immédiate de décors, de costumes ; le recours à des moyens techniques énergivores … Encore faudrait-il pouvoir mesurer cet impact. Seuls des chiffres, des démonstrations scientifiques permettent d’étayer ou de contredire les arguments de l’ordre de l’intuition. Or les données manquent pour le moment. Un bilan carbone de l’audiovisuel a été réalisé mais non seulement il date de 2010, soit avant la numérisation de la filière mais en plus il ne semble pas couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur d’un film.

Mais au printemps 2021, le think-tank The Shift Project, œuvrant en faveur d’une économie bas carbone, s’est saisi de l’enjeu d’objectivation des données afin de dresser un état des lieux clair, sourcé et chiffré des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie cinématographique. Un premier rapport a été publié, couvrant essentiellement les champs de la production et de l’exploitation, il devrait être enrichi dans les prochains mois. En voici les chiffres clés : 

  • l’ensemble des 2000 cinémas français émettraient en moyenne 1,07 millions teCO21, soit l’équivalent des émissions générées par la population de Nancy sur une année ;
  • la production d’un film moyen générerait 750 teCO2

Ne serait-ce qu’au niveau de l’exploitation, près de 90% des émissions sont dues aux déplacements des spectateurs en salle. Or une salle de cinéma ne peut vivre économiquement et socialement que si les spectateurs viennent. Ce chiffre montre donc la grande dépendance du secteur aux énergies fossiles et sa vulnérabilité en cas de crise énergétique.

Cette illustration permet de comprendre que l’impact environnemental du cinéma est tel qu’il est indispensable pour l’industrie d’anticiper les chocs énergétiques à venir sans quoi, elle les subira. Et anticiper c’est amorcer sans délai de profonds changements dans l’exercice de son activité.

 

Une dynamique qui s’amorce

De manière générale, on observe une dynamique de structuration des enjeux. Le rapport de The Shift Project en est un exemple avec l’appropriation par un acteur privé d’enjeux qui lui sont a priori externes. Un autre exemple est la multiplication de la présence de la thématique lors de rendez-vous professionnels (réunions syndicales, AG) et même dans la presse. L’observation tend à laisser place à l’analyse et la construction de solutions concrètes au problème désormais identifié et de plus en plus d’acteurs se mobilisent.

Au niveau des pouvoirs publics, citons d’abord le décret tertiaire relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire de plus de 1000 m² dans un premier temps ; il concernera, à terme tous les bâtiments indépendamment de leurs surfaces. Malgré des modalités d’application encore floues, ce décret contraindra les salles de cinéma à déclarer chaque année leur consommation d’énergie, tout en ayant des objectifs chiffrés : 60% de réduction en 2050. Au niveau ministériel, sur les 4 milliards € de budget consacrés à la Culture, 0,45% seront alloués au soutien de la Responsabilité sociale des entreprises (incluant, qui plus est, d’autres enjeux que les sujets environnementaux). 

Le CNC affiche une politique ambitieuse s’incarnant à travers le Plan Action ! D’enjeu, l’impact environnemental du secteur est devenu un véritable problème public. Quatre priorités ont été identifiées : la réduction de l’impact carbone des productions ; l’amélioration des dépenses énergétiques des tournages et l’accompagnement de la rénovation des structures ; la réduction des déchets et l’incitation à l’économie circulaire ; l’encouragement vers la sobriété numérique. Pour appuyer son analyse, le CNC a lancé une étude des dépenses énergétiques des salles de cinéma dont les résultats devraient être publiés début 2022.

Cette ambition publique se développe parallèlement aux initiatives privées, qui tendent à se multiplier. Hormis, le secteur de la distribution qui s’est pour le moment moins engagé dans une voie de réduction de l’impact de ses activités (notamment lié aux envois numériques et physiques des films et du matériel promotionnel ou aux tournées d’équipes de films), les autres secteurs mettent en place des solutions concrètes de réduction de leur impact. Dans le secteur de la production, des calculateurs permettent d’estimer l’impact carbone d’un tournage, notamment le Seco2 proposé par Secoya. Dans l’exploitation, le premier projet d’un éco-ciné Utopia, à énergie positive, est en train de sortir de terre à Pont-Sainte-Marie. Les festivals donnent également de plus en plus la part belle à la thématique environnementale en s’interrogeant sur leur propre responsabilité, comme l’a fait le Festival de Cannes et revoyant l’ensemble de sa flotte automobile, ou encore en sollicitant une éco-contribution auprès des festivaliers.

 
Et maintenant ?

Il est désormais tout à espérer que les actions développées à la fois au niveau national par le CNC et plus localement par les acteurs privés aient un effet d’entraînement pour l’ensemble de la filière. La présence d’un d’écomanager sur les tournages se développe, les salles de cinéma font de plus en plus appel à des experts du sujet, le CNC envisage l’intégration de bonus et/ou malus basés sur des critères environnementaux dans l’attribution de ses aides sélectives et automatiques… La professionnalisation du secteur qui permettra une action efficace est amorcée, des initiatives sont portées individuellement et collectivement : l’industrie cinématographique donne des signaux importants de prise en compte des enjeux environnementaux, vivement la suite !

 

1  teCO2 est une unité de mesure signifiant « tonne équivalent CO2 »