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Le regard d’un enseignant

Le 12 novembre dernier avait lieu pour la première fois une version en ligne, de la formation proposée aux enseignants participant à Lycéens et apprentis au cinéma. L’occasion pour nous de questionner l’un d’entre eux sur ce nouveau format et de revenir sur l’opération elle-même.

Qui êtes-vous ?

Je m’appelle Laurent Arpison, j’enseigne le français et le cinéma au lycée public de Chauny. J’y suis depuis 1996. Très rapidement j’ai conduit les actions autour du cinéma, des clubs sur la pause méridienne puis un atelier avec deux heures hebdomadaires. J’ai accompagné aussi les élèves de terminale qui passaient l’option cinéma. Cette année, mon proviseur a amorcé une option cinéma facultative en seconde que je peux enseigner, car j’ai obtenu la certification cinéma il y a 10 ans.

C’est la première fois que vous participez à Lycéens et apprentis au cinéma ?

Non, en tant que professeur j’y participe depuis que le dispositif existe dans l’académie, avec quelques interruptions liées au programme. Pendant plusieurs années, j’ai même été le professeur qui chapeautait le dispositif. J’ai animé aussi la plateforme ciné lycée qui avait été créée nationalement et qui consistait à faire des projections hors temps scolaire dans l’établissement.

Avez-vous déjà suivi les formations proposées dans le cadre du dispositif ?

Oui j’ai assisté à beaucoup d’entre elles dans des lieux différents, une façon d’ailleurs agréable de découvrir d’autres établissements. À chaque fois que j’ai inscrit des classes au dispositif, j’ai suivi les formations. L’effort fourni par l’Acap de proposer ces formations dans les trois départements, permet une réelle simplicité de participation.

Vous venez de participer à une formation en ligne dans le cadre de Lycéens et apprentis au cinéma qu’en avez-vous pensé ?

Si je dois faire une moyenne sur la journée, ça c’est l’obsession du prof, la moyenne est assez élevée compte tenu de l’excellence de la matinée et l’intérêt de l’exercice de l’après-midi. En terme de fonctionnement, j’ai observé une nuance nette entre les deux demi-journées.

Qu’avez-vous pensé de ce format en terme de transmission?

La situation sanitaire ne nous permettait pas une autre formule, donc je l’ai suivie avec intérêt et plaisir. Pour avoir beaucoup pratiqué le distanciel avec mes classes de mars à juin, je connais très bien les grands moments de solitude pour le formateur ou le pédagogue. Julien Marsa, le formateur, faisait des touches d’humour et nous ne pouvions réagir à cela qu’à travers le tchat. Un exemple parmi mille que rien ne remplace le contact physique entre êtres humains. Pour le passage intellectuel et culturel, le médium était satisfaisant. Le contenu passe de la même manière, même si j’imagine que pour le formateur, l’adaptation à ce format, n’a pas dû être évidente. J’ai noirci des tas de pages pendant la formation, mais l’interaction entre les formés manquait cruellement. C’était très très bien organisé, j’ai été bluffé par l’effort de réalisation avec des réductions d’écran et des changements d’angles. Je n’en attendais pas autant, je pensais me retrouver devant un plan fixe unique sur le formateur. L’effort pour dynamiser la transmission était énorme et méritoire, mais n’enlève en rien la dynamique du présentiel. La gymnastique de préparer les questions au fur et à mesure des séquences visionnées, pour pouvoir les poser dans un second temps, supprime toute immédiateté de réactions. Toute la gestion technique de petits bugs et de relecture du tchat, nous a je pense, fait perdre du contenu.

En terme de contenu justement ?

Le cinéma de Hitchcock est tellement classique au sens fort du mot et à titre personnel, j’ai tellement d’ouvrages dessus que peut-être la formation m’a un peu moins apporté. Par contre sur The Big Lebowski, après le visionnage, j’avais du mal à envisager un angle d’attaque. L’intervention de Julien Marsa m’a été presque salvatrice. Maintenant j’ai au moins trois angles d’attaque en tête pour le travail avec mes élèves. C’est intéressant non seulement en terme de contenu, mais aussi et surtout pour la stimulation. Les questions que j’ai pu poser, ont jailli de ce que le formateur a amené. Les intervenants de l’Acap ont toujours su stimuler intellectuellement et culturellement.

Que pensez-vous de ce format en terme d’interaction avec le formateur ?

Cette forme déshumanisée, où l’on voyait le formateur, mais lui ne nous voyait pas… et on ne se voyait pas entre nous. Ça parait être un détail, mais pour de la transmission, cela enlève une part du message, de l’émotion, de la réactivité… Je le vois moi-même dans les murs de mon établissement, la transmission avec un masque enlève une part du message. Là nous avions double peine, avec le masque et le distanciel. Sentir le ton dans un tchat est extrêmement difficile. Savoir que nous étions cinq collègues du même établissement à être là, sans être là, et n’avoir aucun échange avec eux, c’était très étrange. Rien ne remplacera les échanges pendant les pauses. Je me souviens d’une formation au lycée de Soissons où tout le repas avait été une discussion très personnelle sur les films. C’était l’année où il y avait Les combattants au programme je crois. C’était très enrichissant c’est ce qui manque avec ce type de format. C’est intéressant de pouvoir prolonger intellectuellement avec le formateur les échanges pendant les pauses. Là nous avons eu un échange de courriel avec Julien Marsa, mais tout prolongement sur le cinéma n’est pas envisageable sous cette forme.

Que pensez-vous de Lycéens et apprentis au cinéma ?

C’est un dispositif remarquable, très bien conduit par l’Acap et qui poursuit des objectifs similaires aux miens. Les projections sont préparées et font l’objet ensuite de prolongements pédagogiques. Je n’ai jamais vu Lycéens et apprentis au cinéma comme un dispositif permettant de faire trois sorties. Il s’intègre parfaitement dans une démarche pédagogique. Chacun est libre bien évidemment en tant que pédagogue de souscrire ou non à la stimulation proposée par le dispositif. De mon côté, j’y adhère parfaitement. Les fois où je n’ai pas inscrit mes élèves à l’opération sont les années où  je n’adhérais pas à certains films programmés. À titre personnel, je ne peux pas transmettre si je ne suis pas moi-même conquis. J’aimerai d’ailleurs beaucoup participé à nouveau au comité de programmation du dispositif. J’ai beaucoup pratiqué en aval, de temps en temps être en amont de la programmation, c’est intéressant.

Avez-vous un souvenir relatif à ces projections en salle avec vos élèves ?

Une année, je me souviens, étaient programmés La Tête haute et lncendies, c’était une programmation forte. J’avais inscrit ma 1ère L et j’ai eu des élèves, garçons comme filles, qui sont sortis en larmes du cinéma. Ça a provoqué une catharsis. On est revenu en classe après la projection. On a eu des échanges sensibles. C’était formidable ! Même si on montre des extraits de film en classe, sortir du lycée, être en salle dans le noir, tout est fait pour que les élèves perçoivent cela différemment d’une séance de cours. La perception est autant émotionnelle qu’intellectuelle. Ces deux films, je les avais vus au préalable, donc la larme je l’avais déjà versée, mais j’avais tout de même les yeux embués de voir mes élèves comme ça ! On a eu un moment de fusion et de partage qui est rare dans une année. C’est un échange très différent. C’est important d’aller en salle, l’extraction à l’environnement scolaire est très importante dans ce dispositif. Certains élèves ne se souviennent plus quand ils sont allés au cinéma pour la dernière fois.

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