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Entretien - accessibilité et audiodescription en France

En France, on recense près de 2 millions de personnes déficientes visuelles. Pourtant, seulement une centaine d’audiodescripteurs œuvrent afin que ces publics puissent accéder aux films. Nous avons rencontré Simon qui est audiodescripteur depuis 3 ans, l’une des plus jeunes recrues de cette profession essentielle mais méconnue.

Simon, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Simon Vignals, j’ai 28 ans et je suis audiodescripteur indépendant à Strasbourg depuis 2021. J’ai découvert cette activité grâce à ma formation à l’Institut Européen des Métiers de la Traduction (IEMT) de Strasbourg que j’ai commencé en 2019. Initialement j’ai fait une licence de cinéma, mais après un échange Erasmus, j’ai voulu allier mon aisance des langues avec le cinéma. J’ai donc enchaîné avec un master en traduction audiovisuelle à l’IEMT dont je suis sorti diplômé en 2021.

C’est grâce à cette formation que j’ai découvert l’accessibilité dans les métiers de l’audiovisuel. J’ai décidé de me spécialiser, entre autres choses, dans l’audiodescription.

Quel est ton statut aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je travaille en indépendant : je suis à la fois auto-entrepreneur et artiste-auteur. Mes clients sont des sociétés, souvent de doublage, qui travaillent avec les distributeurs et les diffuseurs pour faire audiodécrire des œuvres. Ils me passent commande d’une œuvre à audiodécrire, que cela soit une fiction, un documentaire, une série, etc.

Comment définirais-tu l’audiodescription ?

Alors, c’est une bonne question, parce que le grand public connait peu. L’audiodescription ou AD, ne doit pas être confondue avec le sous-titrage pour sourds et malentendants. Elle est destinée à des personnes déficientes visuelles, malvoyantes et non voyantes. J’aime bien définir l’AD comme une bande sonore supplémentaire qui donne du contexte entre les dialogues, les bruitages et la musique. Que le public soit malvoyant ou non voyant, c’est toujours une audiodescription unique que l’on réalise, car il y a tellement de handicaps différents que ça serait trop coûteux ou long de faire une audiodescription par type de handicap.

En AD, on utilise la narration pour essayer de retranscrire la mise en scène d’une œuvre. Par exemple, en décrivant qu’on voit le pistolet d’un cowboy, puis son visage et son chapeau, on décrit la mise en scène d’une œuvre. C’est un travail qui est assez opposé à celui des cinéastes, puisqu’un cinéaste transpose visuellement du texte, un scénario par exemple, tandis que moi, je transpose en texte une œuvre visuelle.

Considères-tu que tu réalises un travail d’auteur ?

Bien sûr. L’essentiel de mon travail consiste à comprendre l’intention d’un cinéaste afin de la décrire au mieux. Plus j’arrive à connaître et comprendre une œuvre, meilleure sera mon audiodescription. Le plus gros obstacle est le temps car dans le cadre d’une œuvre adaptée d’un livre par exemple, je n’ai pas forcément le temps de lire l’œuvre originale pour améliorer mon travail.

Une fois que j’ai réussi à comprendre cela, je dois arriver à prioriser comment je décris l’action. Comme nous sommes une piste supplémentaire, je dois intégrer la description comme un complément du film. Typiquement, dans des comédies musicales aux chansons en langue étrangère, c’est très compliqué de trouver le juste milieu entre la description de l’action et la traduction des paroles sous-titrées, qui doivent être audiodécrites. C’est un choix que nous prenons aussi avec les clients.

Dirais-tu que c’est un métier solitaire ?

Oui, globalement, nous sommes assez seuls. Il nous arrive de travailler à plusieurs sur des projets conséquents en nombre d’heures à audiodécrire, comme les séries. On peut alors rencontrer du monde, mais le reste du temps, on travaille chacun de notre côté. Ce qui peut aider, c’est la proximité géographique avec d’autres personnes. Par exemple, je connais bien la personne qui m’a formée à l’audiodescription, et nous habitons dans la même ville. On se voit régulièrement et c’est toujours agréable d’avoir des discussions sur notre métier que peu de gens exercent.

As-tu déjà eu des retours de publics déficients visuels sur des œuvres que tu as audiodécrites ?

Ça ne m’est jamais arrivé. Après, je suis dans le métier depuis peu de temps, donc j’espère que ça évoluera. J’ai quand même des retours pendant la phase de relecture, puisque je travaille avec des personnes déficientes visuelles pour relire ma première version et m’aider à améliorer mon travail. C’est obligatoire d’avoir cette relecture, car c’est mentionné dans la charte de l’audiodescription. C’est le seul moment où j’ai des retours avant de livrer mon travail à mon client.

Il y a quand même une forme de reconnaissance, avec par exemple la cérémonie des Marius à Paris qui récompense les meilleures audiodescriptions. Ce serait formidable d’y participer, un jour.

Pour finir, que penses-tu du futur de ton métier, par rapport au développement des I.A. par exemple ?

Forcément, je m’interroge, mais je ne dirais pas que je suis inquiet. Pour l’instant, une I.A. est incapable de réaliser une audiodescription, mais qui sait comment cela évoluera dans un an ou deux… Ce qui ne change pas, c’est que l’intervention humaine est toujours nécessaire, même lorsque des traductions sont réalisées en amont par des traducteurs automatiques. Il faut toujours des humains pour corriger la machine.

Le secteur évolue quand même avec le développement de la vocalisation. C’est une sorte d’audiodescription en direct qu’on utilise surtout pour les rencontres sportives ou les émissions en live. Peu de personnes, même chez les audiodescripteurs, connaissent. Je vais me former cette année pour pouvoir développer cette activité.