De Cherif aux collégiens : l’écriture selon Lionel Olenga
Lionel Olenga, scénariste et producteur amiénois, partage son parcours, ses inspirations et son univers créatif. De ses premières lectures à ses séries emblématiques, il confie comment il a cheminé pour trouver sa place dans le monde de la série télé, accompagné la créativité des jeunes et nourri sa passion pour l’écriture.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Lionel Olenga, scénariste et producteur, principalement pour la télévision depuis une vingtaine d’années. J’ai commencé à travailler sur des séries comme Avocats et Associés, Sur le Fil, puis j’ai eu la chance de créer mes propres séries : Cherif, Le Code, Double je.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire pour les séries ? Y a-t-il eu un moment déclencheur ?
Il y a eu plusieurs éléments déclencheurs, plusieurs rencontres avec des univers, des œuvres et des personnes.
D’abord, c’était un rêve d’enfant. Quand j’étais malade, je regardais souvent des séries l’après-midi : Amicalement vôtre, Mission impossible… C’étaient des univers incroyables et j’avais très envie d’en faire partie. Je ne savais pas si ce serait comme acteur, réalisateur… mais j’avais envie d’écrire. J’ai commencé par écrire de petites histoires, comme des épisodes de séries, et même des épisodes de Le Saint. On dit qu’il ne faut pas regarder trop la télé, mais je suis un contre-exemple ! Ensuite, j’ai lu des livres et découvert la bande dessinée Sin City de Franck Miller, fascinante dans sa façon de retranscrire les voix des personnages. J’ai essayé de faire pareil en écrivant des nouvelles, qui ont été adaptées en courts métrages. Les réalisateurs m’ont ensuite proposé d’écrire un scénario de long métrage.
Mais ce qui m’intéressait vraiment, c’était de faire évoluer mes personnages sur un temps long. Un film peut faire vivre quelque chose de très fort pendant deux heures, une série permet de ressentir ces émotions pendant deux, trois, quatre, cinq ans. Si un personnage traverse une épreuve dramatique en saison 5, le spectateur la vit avec lui.
Un autre élément déclencheur : les comics Strange de Frank Miller. Le suspense, épisode après épisode, me fascinait. Mais la diffusion a été arrêtée, et je ne pouvais pas connaître la suite… Alors j’ai commencé à l’écrire moi-même. Ce n’était pas parfait, mais ça m’a appris à créer.
Avocats et Associés © Aurelien Faidy / France 3
Enfin, il y a eu une période où je travaillais aux douanes d’Amiens. Je regardais The Practise, pour moi la meilleure série d’avocats. Deux collègues, quant à eux, suivaient Avocats et Associés et se racontaient chaque épisode. Une de leur conversation sur un personnage qui mangeait sa mère par amour m’a interpellé : je ne connaissais pas cette série, alors j’ai commencé à regarder. Ça m’a donné envie d’écrire des scénarios et une dizaine de pitchs que j’ai envoyés à la productrice de la série. Après de longs mois et plusieurs relances, un jour, elle m’a appelé…
Avez-vous, enfant ou jeune adulte, des modèles ou séries qui vous ont inspiré ?
Les séries des années 70-80 : La Quatrième Dimension, Chapeau melon et bottes de cuir, Clair de Lune… Et puis Steven Bochco et David E. Kelley, qui créaient une mémoire et une continuité aux personnages, ce qui donnait de la vraisemblance et de la profondeur.
Votre univers est souvent lié au thriller, aux personnages complexes, aux zones d’ombre. Pourquoi ?
J’aime les séries policières et judiciaires, mais c’est aussi ce qui se vend le mieux en France. L’histoire policière permet beaucoup de suspense, d’enjeux, de dangers pour le héros, même si on sait qu’il ne va pas mourir. Mais j’ai toujours essayé de créer des séries que je regarderais, et de montrer des personnages qu’on ne voit pas habituellement à l’écran.
Y a-t-il un personnage dont vous êtes particulièrement fier ?
Cherif ! C’est le personnage dont je me sens le plus proche. Il se sert des séries qu’il regarde pour mener ses enquêtes. Je me suis inspiré de souvenirs intimes et des expressions de ma mère pour créer le personnage de sa mère. Ça l’a fait beaucoup rire d’ailleurs ! Même dans les situations de danger, il garde un petit sourire dans l’œil. Je ne sais pas si c’est le personnage dont je suis le plus fier, mais c’est celui que j’aime le plus.
L’Acap vous a confié la mission d’accompagner des collégiens dans le défi « Écris ta série » du CNC. Vous qui n’aviez pas l’habitude de travailler avec des jeunes, pouvez-vous revenir sur cette première rencontre ?
Déjà, ce qui était nouveau, c’était de travailler avec des collégiens… J’avais un peu d’expérience avec des lycéens et pensais naïvement que ce serait similaire. Mais pas du tout : ils sont beaucoup plus jeunes dans leur tête, plus directs et parfois en apesanteur. Ils proposaient des idées sans toujours mesurer leurs implications. Une partie du travail avec leur enseignant, Martin, consistait à leur montrer qu’une action a des conséquences et qu’il faut vérifier si leur histoire tient. Ils ont cherché, trouvé la matière, et même si cela a pris beaucoup de temps, c’était très stimulant. Au début, ça m’a un peu fait peur, mais peu à peu, les idées sont venues.
Est-ce que le travail avec eux vous a mené là où vous ne vous attendiez pas ?
Il y a eu plein de petits moments précieux notamment une élève qui a exprimé son envie d’en faire son métier. Même si l’expérience s’arrête peut-être là pour eux, elle peut conforter des jeunes dans l’idée qu’ils peuvent devenir scénaristes, malgré les obstacles. Voir qu’on peut réussir même en venant d’Amiens et sans contacts dans le milieu, c’est important.
Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes et à ceux qui rêvent d’écrire ?
Il faut y croire et écrire. Comme l’ont dit plusieurs scénaristes et romanciers, on n’écrit pas parce qu’on en a envie, on écrit parce qu’on n’a pas le choix. Au lycée, en écrivant mes petites histoires, je sentais que je n’avais pas le choix. Il y a quelque chose de l’envie de transmettre, de raconter, de partager émotions et idées. Quand on a cette envie, que ce soit en roman, scénario ou nouvelle, il ne faut pas hésiter. Et il faut croire en soi : si tu ne crois pas en toi, personne ne le fera à ta place, donc il faut y croire et y aller.
Et pendant les fêtes, vous déconnectez ?
Difficile de déconnecter totalement. Je termine les premières versions des épisodes 2 et 3 de La Manière Forte, mais j’essaie de finir Ozark et Silo. Et j ai bien l’intention de dévorer Logocratie de Clément Viktorovitch. Et un film de chevet, passage obligé des fêtes, Singin’in the Rain, récemment ressorti en 4K.
Entretien réalisé par l’Acap, le 24 novembre 2025.
Photo couverture © Lionel Olenga